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Chronique

L’étonnante histoire de Lili Elbe, l’une des premières femmes « trans »

Témoignage de la liberté culturelle des années folles, le peintre danois exilé à Paris Einar Wegener, mari de l’artiste Gerda Gottlieb, décida de devenir une femme après plusieurs années de transformisme ponctuel.

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Emmanuelle Retaillaud

Ecrit par

Emmanuelle Retaillaud

Publié le

30 avril 2023

et modifié le 22 novembre 2024

Image de couverture

Lili Elbe (à droite) en compagnie de son ami Claude, Beaugency, 1928 - source : WikiCommons

Témoignage de la liberté culturelle des années folles, le peintre danois exilé à Paris Einar Wegener, mari de l’artiste Gerda Gottlieb, décida de devenir une femme après plusieurs années de transformisme ponctuel.

Avant sa mort, le 13 septembre 1931, les journaux français ont peu parlé de Lili Elbe. L’artiste était plus connue, jusque-là, sous son nom et son sexe d’origine : ceux du peintre danois Einar Wegener, né en 1882, installé à Paris depuis 1912, époux de la peintre Gerda Gottlieb (1886-1940), elle aussi Danoise. Comme le rappelle le journal Aux Écoutes dans sa nécrologie du 26 septembre 1931 :

« Einar Wegener peignait des paysages, décrivant tour à tour les fjords de son pays, la Tour Eiffel, Versailles et ses Trianons… […]

Gerda, sa femme, se plaisait à peindre des scènes galantes, figures d’amour dans des parcs, arlequinades où des Colombines archaïques portaient de larges robes à paniers. Ils exposèrent de compagnie dans les galeries parisiennes rue Caumartin, notamment. »

Perçus comme des artistes assez mineurs – « Quelques paysages de M. Wegener ne sont pas indifférents ; les figures de Mme Wegener ont de la grâce mais sans grande consistance » écrit par exemple L’Œuvre du 27 mars 1923 – les Wegener n’auraient peut-être pas attiré l’attention des chroniqueurs s’ils n’avaient incarné, à leur manière, le « trouble dans le genre » propre aux années folles. C’est le journal Paris-Soir qui, dans son édition du 18 septembre 1931, revient avec le plus de précision sur l’étonnante trajectoire d’Einar-Lili, sous le titre «  L’homme-femme » :

« [Einar Wegener] avait eu la révélation de son extraordinaire dualité sexuelle. Il était un homme, un homme parfaitement normal durant des jours, des semaines.

Puis un beau soir, la fantaisie lui prenait de revêtir une autre personnalité. Il s’habillait en femme avec une extrême élégance, se coiffait d’une perruque.

Alors il se faisait appeler Lily. Les amis qui avaient invité Einar Wegener voyaient arriver Mme Lily. Ils se gardaient toutefois d’aucune remarque. Lily les prenait mal. De même, M. Wegener craignait les allusions à son ”double”. »

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La « révélation » avait eu lieu lors d’une séance de pose pour Gerda qui, en manque de modèle, demanda à son mari de poser pour elle en vêtements de femme : ravi et troublé par l’expérience, Einar se délecta à personnifier en société le personnage de « Lili Elbe », présentée comme la sœur de Gerda,  et, bientôt, son modèle favori – voir par exemple le tableau «  Lili avec un éventail à grandes plumes » en 1920.

Pour Aux Écoutes, toutefois, la féminité d’Einar était perceptible bien avant « Lily » [sic] :

« De ces deux artistes, c’était le blond mari Einar, qui paraissait le plus féminin. Sa peinture elle-même était moins mâle que celle de Gerda, sa femme. Couple bizarre, sur le passage duquel on chuchotait, même à Montparnasse, où l’on ne s’étonne de rien. Il avait dû en effet renoncer à sa personnalité masculine dans des circonstances inouïes (…). » (ibid.)

De fait, la personnification de Lili Elbe par Einar Wegener ne relevait pas d’une simple envie de mystification ou du plaisir du travestissement mais bien d’une véritable mue identitaire : jouant Lili, Einar était devenu Lili, accédant ainsi à sa vraie nature, même s’il ne semble pas que le peintre ait éprouvé dès l’enfance ce qu’on appellera ultérieurement une « dysphorie de genre ».

La transformation se poursuivit donc bien au-delà du costume. En 1930, le gynécologue allemand Kurt Wanekros – improprement nommé par les journaux français, tantôt Warnekross, tantôt Warnekopf – avait pris en charge Lili Elbe pour lui donner enfin le corps correspondant à son identité profonde. Les interventions sur les personnes intersexes et trans avaient débuté depuis plusieurs années, déjà, tout particulièrement à la clinique du sexologue berlinois Magnus Hirshfeld, lequel avait fait, en 1922, de Dora Richter, née Rudolph, la première femme trans de l’histoire –  titre que Wanekros revendiqua ultérieurement pour Lili.

Sous son scalpel, cette dernière subit une ablation des testicules et du pénis, puis en juin 1931, une vaginoplastie. L’intervention s’accompagna d’une officialisation, à l’état civil, du nom de Lili Elbe, que la presse attribua curieusement au fleuve Elbe coulant dans la ville de Dresde où Lili s’était fait opérer, mais qui fut peut-être inspiré par celui de Lili von Elbe, l’épouse divorcée de l’ officier allemand Von Moltke, accusé d’homosexualité en 1907. Cette transition entraîna le divorce, semble-t-il à l’amiable, d’Einar et de Gerda, qui eurent autrement formé un couple de lesbiennes, alors que Lili se déclarait hétérosexuelle – elle tomba par la suite amoureuse d’un marchand d’art, et ambitionna d’avoir des enfants.

Les opérations de ce type restaient toutefois expérimentales et risquées. Une ultime tentative de greffe d’utérus sur Lili provoqua une infection fatale. Précisons que cette technique ne fut pas maîtrisée, sur un corps de femme, avant 2014, et fait encore l’objet d’expérimentations en cours sur un corps d’homme.

En 1931, la presse française commente l’événement avec un mélange de fascination et de pathos, sans vraiment tomber dans ce que l’on appellerait aujourd’hui la transphobie, sinon par l’approximation ou l’archaïsme du vocabulaire : « Hélas, la nature implacable n’a pas tardé à prendre sa revanche, commente par exemple Le Carnet de la semaine du 1er octobre 1931.

« La belle androgyne dont s’éprirent tant de romanesques lecteurs de magazines illustrés est entré déjà dans l’éternité – comme dans les annales gynécologiques. »

La diffusion de l’image de Lili Elbe jusque dans des magazines grand public a légué à la postérité une vision moderne, complexe et troublante de la féminité des années folles.

Cette bienveillance relative s’explique surtout par le fait que Lili est essentiellement perçue comme une personne intersexe, à une époque où l’idée-même de déconnexion complète du sexe biologique et du genre psychologique ou socioculturel relève presque de l’impensable. «  Le peintre Wegener est-il un hermaphrodite ? », titre ainsi Comoedia du 3 mars 1932, avant d’ajouter, dans une formule à l’indécision significative :

« Il avait divorcé, il y a quelques temps, à la suite d’une opération étrange qui lui avait donné, ou rendu, un sexe de femme. »

Aux Écoutes est plus catégorique, dans la brutalité-même de son vocabulaire :

« Des médecins et une doctoresse dirigeant une clinique à Dresde, étonnés de rencontrer un tel phénomène tératologique, lui révélèrent qu’il n’avait de l’homme que d’insuffisantes apparences, qu’il était une femme à l’état latent. Une opération chirurgicale allait le rendre à son sexe normal. »

L’hypothèse a été plus tard avancée qu’Einar/Lili aurait pu être concerné.e par le syndrome de Klinefelter (caractérisé par un chromosome X surnuméraire), qui fait partie du prisme complexe de l’intersexualité. L’histoire l’a plutôt identifiée comme une des toutes premières femme trans, victime des tâtonnements d’une médecine encore balbutiante dans ce domaine.

Il faudra attendre les années 1950 pour que les techniques s’améliorent et banalisent la « transsexualité » – on parlera plutôt, ultérieurement, de transidentité. La castration étant longtemps interdite en France, c’est à l’étranger, notamment au Danemark ou au Maroc, que se firent opérer les premières femmes trans, telles Michel-Marie Poulain en 1946, Coccinnelle en 1956 ou Bambi en 1958.

–

Pour en savoir plus :

BOURCIER Marie-Hélène, « Des femmes travesties aux pratiques transgenres ; repenser et queeriser le travestissement », Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, n°10, PUM, 1999, p.117-136

DORLIN Elsa, ROUCH Hélène, et FOUGEYROLLAS-SCHWEBEL Dominique (dir.), Le corps, entre sexe et genre, Paris, L’Harmattan, 2005

FAUSTO-STERLING Anne, Corps en tous genres : la dualité des sexes à l’épreuve de la science, Paris, La Découverte, 2012

FOERSTER Maxime, Elle ou lui ? Une histoire des transsexuels en France, Paris, La Musardine, 2012

MORINEAU Camille et PESAPANE Lucia, Pionnières. Artistes dans le Paris des années folles, Paris, RMN, 2022

MURAT Laure, La loi du genre, Une histoire du troisième sexe, Paris, Fayard, 2002

STEINBERG Sylvie, La confusion des sexes : le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001

THÉRY Irène, Qu’est-ce que la distinction de sexe ?, Bruxelles, Fabert, 2011

Biographies fictionnalisées :

David Ebershoff, Danish Girl, Paris, Stock, 2001

The Danish Girl, de Tom Hooper (2016)

Mots-clés

Lili Elbeannées follessexualitétransformismesexualitégenrePeinture
Emmanuelle Retaillaud

Ecrit par

Emmanuelle Retaillaud

Emmanuelle Retaillaud est historienne, spécialiste de l'histoire de l'homosexualité et des « marges ». Elle enseigne à Sciences Po Lyon. Elle a notamment publié : Les Paradis perdus, drogues et usages de drogues dans la France de l'entre-deux-guerres (Presses universitaires de Rennes, 2009), Mireille Havet, l'enfant terrible (Grasset, 2008) et La Parisienne, histoire d'un mythe, du siècle des Lumières à nos jours (Le Seuil, 2020).

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