Les débuts de l'affaire Violette Nozière (2/3)
En 1933, un journaliste de L'Humanité se passionne pour l'affaire de parricide qui secoue la France : Louis Aragon. Le surréaliste y voit le symbole d'une société bourgeoise profondément inégalitaire. Second volet de notre cycle sur l'affaire Violette Nozière : le crime et l'emballement médiatique.
Été 1933, ce qui n’est encore qu’un banal fait divers fait son apparition dans les journaux : un cheminot et sa femme ont été trouvés agonisants dans leur petit appartement de la rue de Madagascar, près de la gare de Lyon. Leur fille, une lycéenne de dix-huit ans, témoigne. Elle dit avoir découvert ses parents intoxiqués après une fuite de gaz. Le père meurt pendant son transfert à l’hôpital, la mère est grièvement atteinte.
Dans L’Humanité, un court article non signé paraît :
"L’affaire reste très mystérieuse. S’agit-il d’un simple accident dû à une fuite de gaz ? Mais alors, d’où proviennent les blessures des victimes ? Un suicide ? Un crime ? Rien ne permet encore de l'affirmer."
L’auteur de cet article n’est autre qu’un jeune poète surréaliste de 35 ans entré au journal quelques mois plus tôt : Louis Aragon.
Dès le lendemain du crime, les soupçons se portent sur la jeune lycéenne, Violette Nozière, qui prend la fuite. La machine médiatique s’emballe. Arrêtée après une cavale d’une semaine, la jeune femme passe rapidement aux aveux : elle a empoisonné ses parents.
La vie de Violette Nozière est passée au crible, et rapportée en détails par les journaux de l’époque : la jeune fille sèche les cours, passe ses journées dans des cafés du boulevard Saint-Michel, prend de nombreux amants. Aussitôt, l’affaire divise l’opinion. Les partisans de l’ordre moral y voient le symbole d'une jeunesse d'après-guerre dévoyée. Pour la gauche et les surréalistes, Violette Nozière est une rebelle contemptrice de l'ordre bourgeois, symbole malgré elle d’une société profondément inégalitaire.
Aragon, qui se passionne pour ce fait divers, assène :
"Plus que jamais dans l’affaire de la rue de Madagascar le caractère de classe de la justice bourgeoise, de la police, de la presse apparaît."
Le journaliste mène un minutieux travail d’enquête journalistique. Il s’entretient avec les avocats, la mère, émet des hypothèses.
Il en est convaincu, Violette n’a pas agi seule :
"Il y a certainement quelqu’un qui l’a guidée. Un de ceux qui prennent les filles d’ouvriers pour les entraîner dans la noce. Un de ceux pour qui les ouvriers et les fils d’ouvriers triment jusqu’au jour où, pour ces mêmes jeunes gens devenus patrons, les ouvriers et les fils d’ouvriers sont envoyés en guerre ou aux colonies se faire casser la gueule."
Un nouvel élément vient bouleverser le cours de l’enquête : Violette soutient que si elle a empoisonné son père, c’est parce qu’il la violait depuis l’âge de douze ans. Le sujet, hautement tabou dans cette société patriarcale, crée une stupeur horrifiée.
Aragon, lui, n’y croit pas, persuadé que la jeune fille est fragile et que "la presse bourgeoise essaye d’accréditer des histoires ordurières sur une famille de travailleurs" pour pouvoir réclamer la peine de mort.
Interpellant le juge d’instruction et la police judiciaire, il déplore leur partialité :
"Car, M. Lannoire, vos « précisions », vos convocations, vos interrogatoires « paternels » frisant le sadisme sur un point secondaire, semblent être autant d'efforts pour empêcher que trop de gens regardent du côté où le maquereau principal responsable du crime de Violette a fichu son camp !
[...] Parce que l'honneur de la famille bourgeoise est en jeu n'est-ce pas ? Et ça, pour les valets-de-pied du régime qui est fondé sur elle, c'est sacré. Défense d'y toucher."
En octobre 1934, Aragon a quitté L’Humanité. Le procès de Violette Nozière est expéditif : trois jours d’audience et seulement une heure de délibéré pour la condamner à mort. Ni l’accusation d'inceste ni la possibilité d’un complice ne seront abordées.
Retrouvez le premier et le troisième volet consacrés à l'affaire Violette Nozière.