Apollinaire critique d'art
Poète, Guillaume Apollinaire était aussi un critique d'art passionné, curieux et défricheur.
"La peinture n'a pas d'autre but que la délectation et la joie des yeux". Ces mots de Poussin, Guillaume Apollinaire les a plus d'une fois repris à son compte. On reprochait souvent au poète de ne pas compendre grand-chose à la peinture : c'est sans doute ce qui faisait sa force. Sa curiosité, sa liberté, l'absence totale d'intellectualisme dans le regard qu'il portait sur les oeuvres, en ont fait un critique d'art - un "écrivain d'art", préférait-il dire - peu commun et dont on redécouvre aujourd'hui toute l'originalité au Musée de l'Orangerie (jusqu'au 18 juillet 2016).
Dès 1902, le tout jeune poète - 22 ans à l'époque - commence à écrire sur ses découvertes en peinture. Ses critiques sont publiées dans d'innombrables revues. De 1910 à 1914, il est le chroniqueur d'art attitré du journal L'Intransigeant. Il suit ainsi de près l'actualité artistique parisienne, avec un regard ouvert et empathique.
Sur le Salon des Indépendants, qui met en valeur la jeune peinture française, il écrit ainsi en mars 1913 :
"Un poète — je crois que c’est Rimbaud — avait prévu ces grandes foires de l’Art, d’immenses expositions de peinture s’allongeant pendant plusieurs kilomètres. Le Salon des Indépendants comprend cette année 48 salles. Ceux qui le visiteront auront l’impression de naviguer sur une mer figée, les flots étant les multiples et admirables tentatives de l’art français pour trouver des formes inattendues de la beauté. Dans toutes les salles, même les premières où l’on accroche en général les ouvrages les plus imparfaits, c’est une profusion de frais, de délicats paysages pleins de lumière et de vérité."
Du Douanier Rousseau à Picasso et Matisse, Apollinaire n'a eu de cesse de promouvoir les artistes qu'il admirait. Une sincérité qui lui vaudra de défendre le peintre montmartrois Adolphe Willette, candidat antisémite aux élections législatives de 1889. Il lui consacre pourtant un article laudateur en 1913, où il semble éluder, sinon excuser, cette dérive :
"Pour la Guerre, Willette devait fatalement la détester, puisqu'elle est le contraire de l’Amour, et l'on peut dire que le plus blanc Pierrot qui vive sur la Butte a fait presque autant de dessins contre la Guerre que contre l'hypocrisie de ceux qui détestent la beauté."
Reste qu'Apollinaire a eu sans conteste une grande influence sur l'art français, de son vivant comme après sa mort, comme le souligne Le Siècle en 1923 :
"Le nom d'Apollinaire n'a fait que grandir depuis sa mort. Et l'on peut dire que ses belles audaces sont à l'origine de tout le mouvement d'art qui s'est développé au cours de ces quinze dernières années".