Écho de presse

Les Histoires désobligeantes de Léon Bloy

le 30/05/2018 par Pierre Ancery
le 22/07/2016 par Pierre Ancery - modifié le 30/05/2018

Ces contes drôles et féroces, écrits dans un style époustouflant, furent publiés dans Gil Blas de 1892 à 1894.

Quand Léon Bloy commence à faire paraître dans Gil Blas, en 1892, une série de contes cruels qui seront plus tard réunis sous le nom d'Histoires désobligeantes, il est loin d'être un novice en littérature. Né en 1846, il s'est déjà rendu célèbre dans le milieu littéraire parisien par sa radicalité et son ton volontiers polémique, pour ne pas dire franchement agressif.

 

Proche de certains mouvements extrêmes du traditionalisme catholique, l'auteur du Désespéré (1887) et de La Femme pauvre (1897), deux romans d'inspiration autobiographique qui ne rencontrèrent à leur époque aucun succès commercial, a déjà écumé plusieurs salles de rédactions. Entré au quotidien L'Univers en 1873 sur la recommandation de son ami Barbey d'Aurevilly, il le quittera en 1874 à cause de la violence de son tempérament. Même chose avec la revue Le Chat noir, qu'il rejoint en 1882 pour la quitter peu après, après s'être brouillé avec son équipe.

 

Les 32 contes qu'il publie de 1892 à 1894 dans Gil Blas portent eux aussi la marque de cette intransigeance. De ces Histoires désobligeantes, tour à tour cruelles, comiques, violentes, émouvantes, parfois à la limite du fantastique, il disait :

 

"Je le confesse, il n’est pas en mon pouvoir de me tenir tranquille. Quand je ne massacre pas, il faut que je désoblige. C’est mon destin. J’ai le fanatisme de l’ingratitude."

 

Ce qui frappe surtout, c'est l'invraisemblable perfection du style. Comme dans Le Parloir des tarentules, ahurissant portrait d'un poète mégalomane que Bloy nous présente ainsi :

 

"C’était un hirsute blanc dont le port de tête continuel semblait un défi à tous les tondeurs. Bien qu’il eût à peine quarante ans, l’épaisse toison couleur de neige qu’il secouait dans les vents lui donnait, à quelque distance, l’aspect d’un Saturne pétulant ou d’un Jupiter de la panclastite prématurément vieilli par un abus incroyable des carreaux de la volupté. La mauvaise petite figure de brique pilée, qu’il exhibait sous les flocons, se manifestait plus bouillante et plus cuite chaque fois qu’on la regardait.

Son agitation chronique l’étonnait lui-même :

Je suis le Parloir des tarentules ! criait-il de sa voix de promis à la camisole, qui faisait presser le pas aux petites ouvrières, dans la rue.

Il avait toujours l’air d’un Samson faisant éclater les cordes ou les entraves dont les Philistins naïfs auraient prétendu le fagoter pendant son sommeil."

 

Ou dans La religion de Monsieur Pleur, qui met en scène un vieil avare repoussant, uniquement préoccupé par l'argent :

 

"Son culte s’exprimait parfois en de telles circonlocutions extatiques, le baveux éréthisme de sa ferveur atténuait si étrangement sa physionomie de fossoyeur calciné, et de si déshonnêtes soupirs s’exhalaient alors de son sein, que les vases de moindre élection dans lesquels il laissait tomber sa rare parole, étaient excusables, après tout, de ne pas sentir passer, entre eux et lui, l’hypocondriaque majesté de l’Idolâtrie."

 

Il faudrait aussi citer La tisane, Deux fantômes, La taie d'argent, Un épouvantable huissier...

 

Suite à une énième polémique, il sera chassé de la rédaction de Gil Blas en 1895. Il plonge alors dans la misère et perd deux de ses fils, tandis que sa femme tombe malade. Il écrira jusqu'à sa mort, en 1917. Son influence sera majeure sur certains écrivains du XXème siècle comme Céline, Bernanos ou Borges.