Marcel Proust au Figaro
Pendant des années, Proust a écrit dans le Figaro. Chroniques mondaines, notes, réflexions du futur grand écrivain ont ainsi été publiées dans le journal de son ami Gaston Calmette.
« À M. Gaston Calmette, comme un témoignage de profonde et affectueuse reconnaissance ». C'est par cette dédicace que s'ouvre Du côté de chez Swann, le premier tome de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Gaston Calmette, depuis 1902, n'est autre que le directeur du Figaro, dans lequel Proust écrit régulièrement, parfois sous le pseudonyme de Dominique ou sous celui, shakespearien, d'Horatio.
La phrase de Proust, longue et complexe, semble difficilement conciliable avec les exigences de l'écriture journalistique. C'est pourtant dans les colonnes du célèbre quotidien fondé par Hippolyte de Villemessant que Proust, qui n'est pas encore écrivain (le premier tome de la Recherche ne paraît qu'en 1913), fait ses premières armes – il écrira aussi dans Le Banquet, Littérature et critique, La Revue Blanche et La Nouvelle Revue Française.
Il s'agit souvent de courtes chroniques littéraires sur des paysages et des impressions de voyages : c'est le cas du tout premier article publié au Figaro, le 13 février 1900, intitulé « Pélerinages ruskiniens en France », dans lequel il rend hommage à l'écrivain John Ruskin, qui a tant compté pour lui, et qui vient de mourir. On y trouve aussi plusieurs chroniques mondaines : entre 1903 et 1904, Proust décrit ainsi longuement, parfois avec une pointe d'ironie, les salons de la princesse Mathilde, de la comtesse d'Haussonville, de la princesse Potocka, etc.
L'un des articles les plus intéressants de Proust est celui qu'il intitule « Journées de lecture », qui paraît en une du journal le 20 mars 1907. C'est sans doute l'article le plus « proustien » de son auteur, en cela qu'il augure des grands développements romanesques à venir. L'auteur commence par décrire les sentiments que lui procurent les conversations téléphoniques, qu'il compare à des conversations avec l'outre-tombe (un passage qui sera repris dans La Recherche) !
« Présence réelle – que cette voix si proche – dans la séparation effective. Mais anticipation aussi d'une séparation éternelle. Bien souvent, l'écoutant de la sorte, sans voir celle qui me parlait de si loin, il m'a semblé que cette voix clamait des profondeurs d'où l'on ne remonte pas [...] »
Et il termine par une longue réflexion mélancolique sur « le passé que les noms découvrent » au poète, c'est-à-dire sur la puissance d'évocation contenue dans les noms de personnages disparus depuis longtemps. Une idée qui sera au cœur du projet d'écrivain de Proust, pour qui les mots (et la littérature) possèdent une magie que n'a pas la réalité, toujours décevante, et qu'il résume magnifiquement dans la fin de cet article :
« Peut-on raisonnablement demander aux hommes de se montrer dignes de leur nom quand les choses les plus belles ont tant de mal à ne pas être inégales au leur, quand il n'est pas un pays, pas une cité, pas un fleuve dont la vue puisse assouvir le désir de rêve que son nom avait fait naître en nous ? »