Extrait du journal

— Dans un village de Savoie appelé Rognona, vivait , ou plutôt végétait en 1781 , une population peu nombreuse, pâle, hâve, affamée, et pour comble de calamités, affligée de gloires dans la totalité des habitants mâles et femelles qui la composaient. Ces êtres disgraciés que la nature semblait avoir crées dans un moment de mauvaise humeur, et paraissait ne perpétuer que pour être un objet de dégoût et de dérision, bien plus que de pitié, n’étaient point aussi malheureux que, de priine-abord, on pourrait le croire. Enfermés par une ceinture de montagnes dans un vallon peu fertile et arrosé par. un ruisseau qu’alimentait la fonte de» neiges supérieures, sans communication avec les villages environnants, ils ne lisaient point de journaux, n’étaient point tenus d’en publier, ce qui était un grand adoucissement à leur misère. Pourvus d’un moulin, d’une manufacture de draps grossiers, et des artisans que la fabrication et la réparation de leurs ustensiles d’agriculture leur rendaient nécessaires, ils se suffisaient pleinement à eux-mêmes cl voyaient dans les masses gigantesques de pierre qui les emprisonnaient , les bornes de l’univers. La sobriété à laquelle les contraignait , dès le bas âge, la pauvreté de leurs récoltes, leur faisait trouver moins pénibles les jeûnes forcés que la nécessité leur imposait souvent. Le luxe...