Extrait du journal

La première fois que j’entendis parler de lui j'avais onze ans. Un vieux paysan, militant socialiste de la première heure, qui nous rendait souvent visite, l’adorait. A le voir, lui d'ordinaire si calme, si maître de lui, devenir tout a coup aussi enflamme, aussi passionne à l’évocation de Jaurès m’impressionna profondément. A l’école, au mo. ment ou nous étudiâmes « la période contemporaine », notre professeur d’histoire relata très succinctement l’action du tribun en faveur de la paix. Je sentais bien qu’il n’avait pas dit tout ce qu’il pensait, soucieux de ne point s’évader d’un programme précis et de ne prêter flanc a une cabale possible des milieux réactionnaires qui lui avaient plusieurs fois déjà créé des ennuis. C’est un soir, à la sortie de la classe, que je me fis conter la vie du prestigieux orateur socialiste. En mon professeur, comme chez le paysan, le cœur avait ete touché. Un homme qui était capable ce s’attacher ainsi deux êtres aussi divers devait personnifier au suprême degré cette soif ardente de justice qui ronge tous les hommes de conscience et surtout savoir extérioriser ce sentiment....