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Bir-Hakeim, 1 juin 1943

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Bir-Hakeim
1 juin 1943


Extrait du journal

Ma femme chérie, Je t'écris d'un petit village de France et après les accords des généraux de GAULLEGIRAUD. Te souviens-tu, lorsque je t'écrivais, il y a quelques mois de ma cellule —peu de temps avant mon évasion — que tu ne devais pas être malheureuse parce que j'étais tr^p confiant. Plus que jamais je comprends la basse laideur de la trahison, cette trame malsaine de l'existence et ton admirable attitude d'alors, dbnnait ainsi au nom de la femme sa réelle valeur. Tandis que des hommes de bonne volonté s'appliquaient à Alger, à faire disparaître les obstacles qui s'opposaient encore à une entente entre le général de GAULLE et le gé néral GIRAUD, le devoir de tous les bons Français était de faire confiance au patriotisme ■éprouvé de ces deux grands chefs et de comprendre exactement la pensée de nos alliés anglais et américains sur ce grave problème de l'unité française. La propagande allemande, aidée par la radie et la presse de Vichy, avait trouvé dans ce conflit de GAULLE-GIRAUD, des thèmes qu'elle croyait efficaces et qu'elle déve loppait inlassablement. A l'en croire, le général de GAULLE était “ l'homme des anglais” et le généra! 6/ 'AUD “l'homme des américams".'L'un comme l'autre serait acquis, di sait-elle, aux intérêts de l'impérialisme des Puissances capitalistes anglo-saxonnes et leur rivalité personnelle ne pouvait que traduire l'antagonisme profond qui subsiste encore, dit-elle, entre Wallstreet et la Cité en ce qui concerne l'utilisation de la victoire. Le but de cette immonde propagande, ma chère femme, était clair : elle tendait a paralyser, en les divisant les forces de la noble résistance française. De telles absurdités furent, dès le premier jour, repoussées par le bon sens des Français qui savent parfaitement que l'esprit éle.vé d'un de GAULLE ou d'un GIRAUD, absolument inaccessible aux calculs intéressés de l'argent, n'envisage pour agir que l'intérêt supérieur de la France. Tous deux ne songent qu'à libérer leur pays et à le ramener, aux côtés de ses grands alliés, sur le chemin de l'honneur. C'est, précisément, ma chère femme, c~tte haute conception de leur devoir qui a valu aux généraux de GAULLE et GIRAUD l'admiraiion des peuples anglais et améri cain, et l'appui des hommes d'Etat de Londres et de Washington. C'est avec ces deux chefs et l'immense armée des Français du dehors et du dedans qui les suit, que le haut commandement des Puissances alliées compte porter les coups décisifs qui rendront à la France, avec la pleine souveraineté, la possibilité de choisir elle-même son régime poli tique et ses dirigeants. Il nous restera maintenant une pente dure, à remonter pour reprendre nos droits et retrouver nos libertés. Pendant des années nous avons fait souvent l'union des partis. Nous n'en vouions plus. Nous voulons l'union de tous les Français qui doivent désor mais fraterniser pour une paix durable. Union de nos cœurs comme à Alger. Celle-ci vient de se faire dans la capitale de notre empire et dans une poignée de mains de deux grands soldats. Puissent les Français oublier les rancunes et les* divisions en pensant à notre pauvre pays, à ses enfants prisonniers et déportés, à 'notre terre meurtrie, 'foulée parle même ennemi, qui en une vie d'homme, a ravagé par trois fois notre sol aimé. L'union de tous les Français doit se faire, comme s'est faite celle des troupes dû général LECLERC et des troupes ou général JUIN, sur le champ de bataille de Tunisie. Pour ma pan, tu le sais trop bien ma chère femme, je suis resté rrioi-même au mi- ■ lieu de ce dur combat. Ce monde nouveau qui me semble en train de naître, a besoin des mêmes désirs, des mêmes pensées, des mêmes volontés que ce monde effrayant où nous combattons obscurément. La bataille, hélas, n'est pas achevée. Nous aurons peutêtre à traverser des événements plus durs que ceux que nous àvuiis déjà vécus. Malgré le besoin que j'éprouve intensément de te retrouver avec nos chers enfants, je ne déser terai pas mon combat. Je continuerai de donner de moi-même tout ce qu'il faudra donner. Mais je suis sûr de rester ce que je suis, c'est-à-dire, un bon républicain. Vois-tu, ma chérie, dans les époques les plus troublées et les plus tyranniques, il y a un effort de l'homme vers le réel qui dépasse toutes les puissances du désordre et de l'oppression. C'est le besoin de la liberté Tu te souviens le jour où les braves paysans de notre village, — c'était en février 1934 — sont descendus à la sous-préfecturç, pour dire au sous-préfet que si la République avait besoin d'eux, ils avaient des chevrotines pour son service et tu sais, ma chérie, ce que ça veut dire chez nous, la République ! Ça veut dire la liberté, l'égalité et la fraterniié pour lesquelles tous les Français feront l'union, comme de GAULLE-GIRAUD et nos pèrés de 89, pour retrouver ce noble symbole contenu dans ces trois beaux mots si français. Courage, ma chérie, embrasse les enfants comme je t'embrasse et à bientôt le retour de ton proscrit, X. X....
Bir-Hakeim (1943-1944)

À propos

Bir-Hakeim est un journal clandestin à tendance républicaine ayant paru entre 1943 et 1944. Fondée par le journaliste et résistant André Jacquelin, la publication est connue pour avoir été la première à avoir évoqué le défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax, action emblématique de la Résistance par laquelle l’interdiction de célébrer l’armistice de 1914 a été bravée. La photo de cet événement, publiée dans le numéro de décembre 1943, fut par la suite reprise dans la presse anglo-saxonne.

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