Extrait du journal

Ce grand chef n'avait jamais vu un premier prix du Conservatoire; curieux, il s'enquit des études qu'il fallait suivre, des examens qu'il fallait affronter, des concours où il fallait triompher; il y avait dans sa voix de la surprise et du respect. Enfin il le pria de bien vouloir venir après-demain chez lui où il y aurait quelques intimes, prendre une tasse de thé et peut-être, peut-être leur chanter quelque chose. Chauvet ne se confondit pas en remerciements: service commandé, en somme : il obéissait. * Il trouva chez le colonel la femme du colonel, naturellement, et ses deux filles, le général, qui commandait la brigade, sa femme et sa fille, le sous-intendant, et le lieutenant-colonel de dragons qui commandait les deux escadrons détachés dans la ville, mais qui n'avait ni femme ni fille, étant célibataire. Chauvet était en veste et pantalon numéro deux; il restait dans un coin, tandis que les invités causaient entre eux; enfin la fille aînée du colonel vint à lui, en souriant, lui dit quelques paroles complimenteuses, et lui proposa de l'accompagner au piano, s'il voulait chanter. Il chanta; il chanta un grand air, puis un second, puis un troisième; la fille du général tournait les pages à la fille du colonel et la voix de Chauvet, tantôt caressante et tantôt légère, tantôt grave, tantôt douce, toujours Voluptueuse, émerveillait chacun. A peine avait-il fini, que la femme du général se précipitait sur lui, l'accablait d'éloges, appelait son mari près d'elle pour qu'il joignît à ses félicitations des félicitations plus hiérarchiques, obtenant enfin que Chauvet chanterait à sa première soirée....