Extrait du journal

Enfin ! la Comédie-Française paraît disposée à inscrire à son répertoire un des chefs-d'œuvre d'Ibsen : soit L'Ennemi du Peuple, soit -- et plus probablement -- Maison de Poupée. Voilà bien courcnnés les efforts de M. Lugné-Poe et de tant d'ibséniens qu'il forma, ou qui défendirent avec lui la cause du génial Norvégien. Cet homn-age, pour tardif qu'il soit, honore grandement la Maison de Molière. La représentation de Maison de Poupée, chez M. Claretie, ne peut manquer de provoquer une recrudescence du mouvement ibsénien, et elle sera accueillie par les gens de théâtre et de lettres avec une joie sincère. Car, bien que les plaidoyers se fassent de jour en jour plus éloquents, le parti pris d'une trop grande partie du public reste toujours difficile à vaincre. La faute en est certainement dans la quasi-ignorance de la foule. C'est toujours, au fond, la même histoire : paresse ou manque de temps; on ne lit pas les œuvres, mais désireux d'avoir pourtant une opinion, sur chaque homme et sur chaque chose, on écoute celle du voisin, on l'adopte et on la, répète, légèrement déformée. Les grandes réputations s'établissent ainsi. C'est pourquoi l'absurde légende s'accrédiite. On s'obstine à croire obscures .ou rebutantes des pièces comme Peer Gynt ou, 'Maison de Poupée, et à quiconque d'averti qui vous presse de connaître vos raisons, on parle, suffisant, de ces « fameuses brumes du Nord », où. vont se perdre les inspirations les plus saines, et la cause est "entendue, jugée. Il n'y a plus à y revenir. Il faut attendre la représentation. Et quelles belles victoires n'ont pas ainsi remportées les défenseurs d'Ibsen! Combien de subits revirements et d'exaltations imprévues qui sont nés, grâce à eux ! Aussi conçoit-on qu'il faille redoubler - d'activité, sans répit, et qu'on se doive de faire triompher vite une cause juste, puisqu'on le peut....