Extrait du journal

2h janvier 1891. Une grande manifestation des ouvriers sans travail avait été organisée pour la journée d’hier, par certains groupes anarchistes. Le lieu de réunion était la place de l’Opéra. En réalité, il n’y a eu aucune manifestation. Beaucoup de curieux comme toujours. Peu de force armée — apparente tout au moins. Les ouvriers qui ar rivent sur la place de l’Opéra sont emmenés au poste où l’on s’assure s’ils manquent de travail. La plupart d’entre eux ont été conduits cette nuit à l’asile de Nanterre où on leur procurera un asile et du travail pour quelques jours. Comme l’a fort bien dit un journal, cette mani festation anarchiste a tourné tout simplement à une paisible distribution de secours. On a main tenu seulement l’arrestation de ceux que l’on a considéré comme des provocateurs. Il paraîtrait que certains manifestants s’étaient munis de poignards tout comme des conjurés ; on ne leur a pas laissé chanter leur chœur par respect pour l’art de la musique. Cette pre mière devant l’Opéra, pour laquelle on avait fait beaucoup de réclame, n’a pas réussi. Et l’on ne savait même pas, place de la Bourse, à la même heure, qu’il y eût des attroupements place de l’Opéra 1 Le prince Baudouin, fils aîné de l’héritier du trône, le comte de Flandre, frère du roi, est mort cette nuit, presque subitement, d’une con gestion pulmonaire. Il était souffrant depuis quelques jours, à la suite de fatigues excessi ves, dit-on, et avait dû interrompre son service de capitaine de carabiniers pour garder la chambre ; jeudi matin, il s’était trouvé un peu moins bien et les médecins avaient publié un bulletin de sa santé, mais personne n’était sé rieusement inquiet ; dans l’après-midi, une hémorragie se produisit, puis tout à coup, dans la soirée, son état empira ; le roi se rendit au palais de Flandre ; le prince était déjà fort mal; un prêtre le confessa, et quelques heures après l’agonie commença. C’est un peu avant deux heures qu’il mourut entouré de toute sa famille ; il était âgé de vingt et un ans. La nouvelle qui s’est répandue ce matin dans la ville y a causé une profonde émotion; c’est de la santé de la princesse Henriette, la sœur du prince Baudouin qu’on était inquiet, mais nul ne prévoyait le malheur qui allait frapper la famille royale et le pays. Le prince était fort populaire: très intelligent et d’un esprit très vif, il promettait d’être un excellent souverain. On dit que les funérailles auront lieu jeudi. L’héritier du trône, après le comte de Flandre, est aujourd'hui le second fils de ce prince, le prince Albert, âgé de quinze ans seulement ; il est le dernier rejeton mâle de la famille royale. La commission des douanes a repoussé, par 22 voix contre 16, l’établissement d’un droit d’entrée sur les soies grèges venant de l’étran ger. Le vote de la commission, aussitôt télégra phié à Lyon, a été accueilli avec un grand en thousiasme ; le Palais du Commerce et de nom breuses habitations privées ont été illuminés. Voilà qui est bien ; l’industrie de la soie ne sera pas ruinée par les tarifs protectionnistes ; les trois cent mille ouvriers qui vivent de la fabri cation de ce produit ne sont plus menacés de chômage. Mais cela ne suffit pas ; les blés, ma tière première aussi — et la première — sont...