Extrait du journal

Ceux-là ont accueilli avec transport la venue de Marie Pleyel à Marseille. En présence de celte gracieuse et si complète personnification de la musique, art tendre et délicat par excellence, rêveuse poésie qui se sent plus qu'elle ne s’exprime, ils ont ou des joies inconnues, des tressaillements de bonheur, de sublimes jouissances ; cette femme a soulevé pour eux un des coins bleus du ciel et leur a donné un avant-goût des harmonies de Séraphins dont elle semble avoir surpris le secret aux concerts de Jéhovah. L’oreille attentive, la poitrine haletante et fiévreuse devant celle révélation attrayante par tant de charmes, l’œil obstinément attaché sur ce visage aux rapides et mobiles impressions, ils ont écoulé les voix étranges qui chantaient dans ce clavier jusqu’à ce jour si sec, si froid et si impuissant, voix lour-à-lour plaintives ou joyeuses, éclatantes ou légères, disant le bonheur et l'enthousiasme, ou la douleur et le découragement, racontant toutes les émotions humaines avec une entraînante éloquence, une vérité sympathique,au moins égale, sinon supérieure à toutes les formules d’expression connues: et dans leur étonnement ils se sont demandés si c’était bien là ce piano ordinairement babillard et insensible, ingénieuse contrefaçon d’un orchestre en miniature, et s’ils n’entendaient pas quelque instrument encore innomé, réunissant toutes les élégances, toutes les puissances et toutes les sensibilités. Ils ont compris qui y avait dans ce jeu plus que de la perfection, plus que de la grâce, plus que du charme ; ils ont deviné une grande âme d’artiste cachée sous la séduisante enveloppe d’une femme, et, dans son sourire, ils ont vu passer cette flamme intelligente, rayon divin, auréole enviée que Dieu n’accorde qu’aux plus aimés d’entre ses élus....