Extrait du journal
« Ce n'est pas sans une vive impatience, - contredite d'ailleurs par beaucoup de regrets, - que j'attends l'heure où je serai tout à fait vieux ! Sans doute, j'ai cessé de ressembler aux Chérubins ingénus, embrasseurs d'écorces d'arbres, qui, dès qu'ils remuent leurs têtes blondes, ont l'air de secouer des rayons de soleil ; il ne faut que peu d'attention pour découvrir dans ma chevelure, près des tempes, des fils gris, que je n'arrache pas de peur qu'ils ne repoussent plus nombreux et plus drus comme la mauvaise herbe ; mes lèvres ont pâli et se sont amincies, — outil de délices usé; mes yeux ne contemplent plus (mes yeux d'aigle vieillissant) qu'avec des clignements déplorables le franc soleil de la beauté des femmes ; même il m'est arrivé de continuer en un bâillement le baiser d'une première victoire ! Et mon cœur, ainsi que mon corps, s'est alangui. Je ne connais plus, avec l'excès de leur ferveur première, les emportements de la passion ; j'attends, sans me déchirer la poitrine à grands coups d'ongles, la minute Où s'allume d'un signal la fenêtre que j'aime ; et, — pour tout joindre en une seule parole, — je n'entreprendrais pas sans une modeste inquiétude les voyages de Cazanova ! Mais, n'importe, ce moment transitoire où je suis, hésitant et cherchant l'équilibre comme un danseur le pied gauche sur la corde et l'autre dans le vide, n'est pas la vieillesse encore. Je suis presque un homme jeune. J'ai des résurrections furieuses (vous le savez, ô ma miséricordieuse amie, sœur de charité de mes désirs anémiés 1) après de trop longs trépas. Parfois je m'éveille avec l'intention, — que légitiment de magnanimes apparences, — de rejoindre à Séville le plus illustre des séducteurs et de partager ses triomphes. J'aime, pouvant aimer! j'ai des rires de confiance. De sorte que j'attends, et que j'espère, comme une chose inconnue, — tous les beaux denoûments ont d'imprévus Fortinbras 1 — les jours prochains où, définitivement, les vigueurs de la jeunesse ne seront plus en moi que de vains souvenirs, et où je serai pareil aux nobles vieillards, blanchis sous le harnois, des tragédies et des drames....
À propos
Fondé le 19 novembre 1879 par Auguste Dumont, Gil Blas détonnait parmi les publications du Paris fin-de-siècle. Sa ligne éditoriale grivoise, littéraire et ouvertement mondaine charmait ses lecteurs, souvent citadins.
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