Extrait du journal

On a guillotiné ce matin, place de la Roquette, le soleil se levant sur une journée splendide, deux malfaiteurs, nommés Frey et Rivière. Ces hommes avaient tué, pour la voler, une logeuse de garni. Ils avaient été arrêtés de la façon la plus singulière, par les soins de chanteurs italiens qui, rentrant dans l'hôtel garni dont ils étaient les habitants, avaient eu l'idée de donner une sérénade à la maîtresse de lamaison. Tandis qu'ils faisaient leur musique et chantaient leur refrain napolitain, la pauvre femme râlait et les assassins se cachaient derrière son corps! Situation shakespearienne, pour parler la langue à la mode et attribuer au maître anglais l'invention de ces contrastes sur lesquels l'art a toujours vécu, en les empruntant à la vie, qui en est faite. Frey et Rivière n'étaient pas « intéressants ». Nul doute ne pouvait planer sur leur crime, qu'ils avaient reconnu, avec franchise, avec cynisme même, et leurs avocats n'ont pas pu « plaider Lesurques », ce qui réussit assez sur les jurys. Celui de Frey a chargé Rivière; celui de Rivière a chargé Frey. C'est l'usage, en cas pareil, et les jurés les ont crus tous les deux. L'un et l'autre, d'ailleurs, avaient déjà eu des démêlés avec la justice et faisaient partie de cette tourbe effroyable de récidivistes, de souteneurs, de rôdeurs de barrière qu'il serait bon de veiller de près, quand ce ne serait que pour les empêcher de déposer dans l'urne, aux jours d'élection, tant qu'ils n'ont pas été condamnés, un bulletin qui compte juste autant que celui d'un membre de l'Institut. Car il faudra bien arriver à quelque chose qui remplace, dans notre démocratie, la marque d'infamie des censeurs romains et mette hors de la vie publique les gens dont l'existence est infâme....