Extrait du journal

— Osez, dit Avinien, car vous ne vous trompez nullement. Oui, je viens vous parler de la seule personne qui puisse occuper votre pensée, et en dehors de laquelle rien pour vous n'existe. Il y a deux heures, nous marchions sur le trottoir des Champs-Elysées, lorsque, tous les deux à la fois, nous fûmes ravis et comme épouvantés par une divine apparition. Dans une voiture rapidement emportée, nous avions vu deux femmes d'une distinction souveraine. L'une, la plus âgée, était assurément belle ; mais l'autre semblait l'incarnation des rêves les plus poétiques et les plus subtils. Non seulement ses traits étaient d'une pureté rare, ce qui n'est rien, mais ils laissaient dans l'âme une impression absolue et profonde, car dans cette charmante tête tout accusait la délicate, l'inéluctable souffrance. Non la souffrance organique ou morale, qui peut être guérie; mais celle que fait naître l'immense pitié, et qui est faite avec la dou'eur de tous les êtres. Oh ! qu'ils étaient profonds et tristes, les yeux mystérieux de cette jeune patricienne, et comme ses fins cheveux noirs, si soyeux, ressemblaient à un flot qui pleure et se lamente ! Mon cher Lory, vous l'aviez entrevue'pendant quelques secondes à peine, et cependant vous eûtes un cri pareil à celui de Juliette regardant pour la première fois Roméo. — Ah ! me ditesvous, tandis que la vision disparaissait évanouie, voilà la seule jeune fille que j'eusse jamais aimée, et dont je serai veuf jusqu'à la mort !...