Extrait du journal

C'est un fait que nous avons tous remarqué chez nos amis et chez nousmêmes : les pires coureurs de jupons sont fidèles dans leur inconstance à un certain idéal de beauté féminine. On ne le rencontre jamais complet dans chacune des femmes qu'on aime. La tendresse qu'on leur porte, — avec une sincérité profonde, momentanée, — dure tant qu'on est plus charmé de ce qu'elles ont de conforme avec l'idéal adoré, qu'on n'est choqué de ce qui leur manque pour incarner tout le rêve. Cet idéal même est bâti de morceaux qui diffèrent pour chacun de nous : visions de statues, souvenirs de lectures, surtout instinct atavique. Tel qui naît en pleine Normandie, de parents blonds comme le chanvre, porte dans les veines une pinte de sang espagnol, descendue jusqu'à lui par les Flandres ; et l'idéal qui le hante, qui le poussera aux aventures méridionales, c'est l'Andalouse, ardente comme une jument arabe, qui, aux saisons d'amour trouble les douairs de son hennissement. Tel qui est éclos dans la fournaise du soleil napolitain, où son teint a pris l'éclat d'un vase de cuivre, voit passer dans ses espoirs de volupté la femme du Nord dont les cheveux et les prunelles sont pâles, dont une rosée de sang colore le visage de neige. Il aime la fille des Normands qui, voilà des siècles, sont venus fondre à la chaleur des brunes et du Soleil de Sicile....