Extrait du journal

Quand Mathieu Curoz mourut, sa veuve Annette Pècornat, de son nom de demoiselle, pleura tant qu'on crut qu'elle ne se pourrait jamais consoler Et, morbleu ! elle avait bien raison d'être ainsi malheureuse et désolée. Mathieu Curoz était un bon compagnon et qui l'avait vaillamment servie, de toutes les façons, durant les six ans que leur union avait duré. Ce n'était certes pas un fainéant en besogne maritale. Toujours sur la brèche, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi. Etait-ce d'avoir trop chanté, mais ce précieux coq mourut jeune, après avoir donné à Annette une idée tout à fait triomphante des légitimes joies du mariage. C'était la seule sottise qu'il eût faite. Si le souvenir de cet état recommandé par la loi avait été moins plaisant pour sa femme, celle-ci n'eût peut-être jamais pensé à le remplacer et fut demeurée éternellement tidèle à sa mémoire. Un mari déplaisant n'est pas regretté, mais il peut espérer laisser toujours son nom à celle qui le portait avec lui. Chat échaudé craint l'eau froide. Au contraire, Anneite ne pouvait penser au passé sans souhaiter un avenir qui en ramenât les délices. Vous me direz qu'elle aurait pu prendre un amant. Mais c'est une honnête femme que je vous présente et dans uu lieu tout à fait honnête que je vous mène,dans une de ces bonnes toutes petites villes d'an tan où les femmes qui déchoient aux principes de l'honneur sont traitées avec des charivaris. Il n'y avait pas de milieu pour elle. Ne plus connaître les choses de l'amour ou se marier à nouveau. Je le regrette pour l'ombre de Mathieu Curoz, qui méritait une plus longue constance, mais c'est à ce dernier parti qu'elle s'arrêta. Et si vous l'aviez connue, vous lui auriez certainement pardonné. Car ses charmes robustes et bien portant ne l'avaient certainement jamais prédestinée au rôle de Jeanne d'Arc, et le feu qui brillait dans yeux aux noirs fauves n'était pas pour indiquer une personne d'ascétique tempérament. Elle avait d'ailleurs trente ans à peine, c'est-à-dire quinze bonnes années devant elle à remplir de caresses données et reçues, ce qui est, pour tous les gens sensés, le meilleur emploi du temps. On ne jette pas à l'eau un pareil trésor d'étreintes éperdues et de baisers, surtout quand on en a connu la douceur. Annette, qui était naïve, était d'ailleurs convaincue que tous les hommes étaient comme feu Curoz, et je ne suis paspour réclamer contre cette bonne opinion qu'elle avait de nous. C'est sur ces entrefaites que M. Piedamour se posa résolument en prétendant....