Extrait du journal

Si l'on avait la candeur de prendre au sérieux l'étonnante société où nous nous agitons, on serait presque tenté d'envier le sort de Bastien-Lepage, le cher grand artiste qui vient d'être débarrassé de la vie à trente-cinq ans, tant les sujets de tristesse, tant les motifs de désespérance abondent de tous côtés. On céderait à ce tædium vitœ, à ce dégoût de l'existence qui conduisit volontairement à la tombe un si grand nombre d'illustres écœurés à l'époque de la décadence romaine et leur faisait fuir dans le sommeil éternel le carnaval infernal auquel était vouée leur patrie à la dérive. Mais, Dieu merci! nous sommes, nous, gens plus pratiques, et, le cœur philosophiquement descendu dans le talon, savons prendre le temps comme il est, les choses comme elles viennent, l'esprit dégagé et l'éclat de rire aux lèvres. Au lieu de déserter la ronde, nous y entrons à corps perdu ét nous y agitons si bruyamment les grelots, nous y tourbillonnons avec un entrain si vif, que nous n'entendons point le sol qui craque sous nos pas et ne voyons point les nuages noirs qui menacent de toutes parts à l'horizon....