Extrait du journal

Depuis quelque temps, les articles pour et contre le « pessimisme » se multiplient dans les journaux. Ce matin encore, dans le Figaro, M. Wolff « blague » Schopenhauer. La plaisanterie est un peu lourde, d'allure tudesque, mais en raillant son compatriote, M. Wolff fait preuve de bon sens. Que les philosophes aient un concept gai ou triste de la vie, ceci importe peu : il y a quelque mille ans que Démocrite et Héraclite se regardent en face, l'un faisant la grimace et l'autre souriant. Ils ne convertissent personne. Le bien ou mal prendre la vie dépend de la race, du climat, du caractère national, de l'estomac et de la rate. Je gagerais qu'il y a, à Naples, des schopenhœuérians bien décidés ! Seulement, au troisième verre de vin blanc, sous une treille, en regardant la mer, ils fredonnent une ode d'Horace traduite avec génie en patois de lazzarone. Les trois quarts de la jeune génération littéraire de Paris est (intellectuellement) pessimiste. Il est absurde de s'en préoccuper dix minutes. C'est une mode, et les modes, qui altèrent parfois la physionomie d'un peuple, ne vont pas plus loin. De même que nos philosophes ont pris en horreur la philosophie légère et insuffisante de Voltaire et de Béranger, nos jeunes hommes sont en réaction ouverte contre l'esprit de goguette de nos aïeux. Ils pensent que certaines gaietés constantes du caractère sont une forme aimable de l'égoïsme. Et les voilà qui tombent dans une autre forme de l'égoïsme, la désespérance. Il y en a pour un bout de temps. Et, à travers ces fluctuations intellectuelles que la mode conduit et règle, le tempérament national persiste, invariable. Or, ce tempérament, avant tout, est fait d'une incurable et heureuse foi dans le sentiment. Le fonds de l'âme française, c'est l'espérance. Notre légèreté n'est que le résultat d'une confiance inébranlable à je ne sais quelle fatalité optimiste. Le pessimisme de quelques lettrés n'altère pas cette qualité puissante de la race. Elle persiste chez le pessimiste lui-même. Voulez-vous bien me dire un héros de 1830 qui soit resté l'inconsolé de la première heure ? Victor Hugo a tourné à un pontificat empirique du sentiment pur; Gautier s'est retrouvé païen ; A. Dumas, poitrinaire en...