Extrait du journal

Cette capricieuse nature de femme, l'inquiétante mobilité de cet esprit futile aux plus graves choses l'épouvantaient. Etait-elle bonne ou méchante, ou encore indifférente à tout, si ce n'est à sa toilette ? Elle le faisait souvent souffrir par des riens dont elle ne mesurait ni ne comprenait peut-être la cruauté. Son premier mari avait trop peu vécu pour qu'on sût s'il avait été heureux. Veuve à vingt-deux ans, Christiane était, à la fois, une tentante personne et un parti uperbe. Philippe l'aimait à en souffrir, et qui sait ? A en mourir. Mais.il se demandait avec angoisse s'il trouverait, dans cet être étrange, fantaisiste et mystérieux, le fond sérieux sur lequel se doit appuyer toute affection qui se veut éternelle. Il se sentait avec elle comme auprès d'un abîme fleuri dont il redoutait la profondeur. Tout ce charme n'était peut-être qu'un néant dans lequel s'engloutissait son rêve, et, ce qui est pis encore, son cœur. Les deux heures qu'il venait de passer dans la compagnie de la marquise et durant lesquelles celle-ci avait été tour à tour affectueuse et indifférente, répondant à ses paroles d'amour par des billevesées ou l'attirant à des aveux passionnés dont elle riait ensuite avaient confirmé sa virile résolution de rompre tout projet d'hymen avec elle. — Je ne bâtirai jamais sur ce sable ! s'était-il dit. Et il était parti avec beaucoup de désespoir dans l'âme. C'est que Christiane était vraiment une des plus séduisantes créatures qu'on put imaginer. De taille moyenne, elle avait la cambrure vaillante et l'allure aristocratique d'une statuette de la Renaissance. Sa magnifique chevelure noire, lourde comme le,casque d'une Minerve, enveloppait d'une ombre mouvante son front petit et d'une liliale blancheur....