Extrait du journal

Comme les autres divinités ou démones, la Paresse peut être absurde ou charmante. Elle est belle quand elle est décidée, voulue, et se connaît elle-même ; détestable, quand elle cherche les compromis, les faux-fuyants et les demi-mesures. D'ailleurs la vraie, la grande, la superbe Paresse est celle qui succède à l'action, et qui la précède. Le roi d'Asie maître des hommes, ivre de carnage, encore chaud des batailles récentes, a parfaitement raison de se coucher immobile, silencieux, contemplant de grandes fleurs scarlates et des têtes coupées ; car tout à l'heure, il remontera sur son cheval qui boit le vent furieux, et en vérité, il ne saurait passer son temps à tricoter des cache-nez pour les pauvres, ou à raccommoder les sonnettes. Elle a raison de se laisser bercer par le vague murmure du rêve, la sultane qui, en ses utiles travaux, s'est levée, parfumée, baignée d'essences, a tressé sa chevelure, et s'est parée de pâles étoffes rayées d'argent et d'or, et qui bientôt affrontera l'orage des caresses et le doux tumulte des luttes amoureuses. Mais qu'elle est triste et dénuée de grandeur, la Paresse du bourgeois civilisé et moderne, qui n'a pas le courage de faire quelque chose ni de ne rien faire, et qui pour employer un vocable cher aux portières, chipote, au lieu de se décider énergiquement à travailler, ou à ne pas travailler....