Extrait du journal

Comme, dans les temps étonnants où nous vivons, il faut se hâter de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer, le départ pour l'exil des chefs de la famille Bonaparte et de la maison d'Orléans s'est effectué dans les conditions les plus aimables, et a été pour beaucoup l'occasion d'un passe-temps qui en valait bien un autre. Le prince Napoléon ayant annoncé qu'il prendrait l'express de neuf heures vingt du soir, mercredi, pour Genève, à l'heure du diner les restaurants qui avoisinent la gare de Lyon ont été envahis par une foule inaccoutumée qui a fait honneur d'un estomac stoïque à la cuisine du crû. La vieille garde-en mémoire des Anna Delion et des Cora Pearl,-ne manquait pas à ces attablées de l'étrier où des toasts variés ont marqué le dessert et fait vider une collection très respectable de bouteilles de vin de Champagne. Les coupes bues, on est allé voir le départ. Le héros de la partie était à l'unisson de cette assistance au cœur léger. En chapeau rond, en veston, la cigarette aux lèvres, il allait et venait de l'air le plus dégagé et faisant des mots. Des agents étant intervenus auprès d'un groupe attroupé devant un wagon, l'un d'eux adressa au prince qu'il ne reconnaissait pas le fameux : « Circulez! circulez! »...