Extrait du journal

Le couple longeait à petits pas la promenade des Anglais. La femme lourde, poussive, ressemblait à une de ces grand mères ridicules qui sur ie tard affectent encore des coquetteries surannées et oubliant qu'il est temps de penser à faire la retraite minaudent, se maquillent. Elle s'appuyait au bras de son mari avec une tendresse de fiancée, lui parlait à mi voix, le couvait de regards jaloux. On aurait dit qu'elle avait peur de le voir sourire aux autres femmes, de le perdre. Et dans les fanfreluches de sa toilette voyante, dans l'étal des bijoux, dans le rajeunissement artificiel de cette figure usée, -se devinaient le désir qui ronge, l'effort enragé pour plaire quand même et toujours, la colère sourde contre les années qui passent, montent irrésistiblement comme le flux de la mer et cette douleur presque tragique des vieilles qui ne veulent pas vieillir. Le mari raccompagnait de l'air ennuyé d'un homme qu'on traîne, qui est las de sa besogne coutumière et serait heureux de dormir. Rien ne luisait au fond de es prunelles ternes. Le corps, malgré sa charpente vigoureuse, avait quelque chose de courbé, de servile. l.es gants craquaient à ses mains communes. Et les traits bouffis, la moustache repoussée lentement sur des lèvres qui avaient été glabres lui donnaient l'aspect d'un défroqué ou d'un valet que quelque caprice malsain a fait permuter de l'antichambre dans l'alcôve. 11 portait sous le bras gauche un gros carlin duiit le grelot sonnait. Et derrière eux trottinaient une demi-douzaine de chiens pareils que la dame appelait avec de petits cris inquiets et des mots maternels. Des chiens pansus et harnachés de bretelles comme les figurines de Saxe qu'on groupe sur les étagères....