Extrait du journal

Je lui avais sacrifié la paix de mon existence si monotone en cette petite ville penchée au bord de la mer. Son mari, pris par des travaux d'histoire jusqu'à oublier la chair ineffable qui palpitait près de lui, n'entravait aucun de nos caprices amoureux. Je la désirais à à chaque minute. Je l'aimais jusqu'an délire, non sans tortures. Je la supposais frivole, inconstante, incapable d'aimer uniquement, profondément. Je ne cessais de répéter qu'elle me mentait, qu'elle n'avait pour moi aucune affection, que bientôt elle se lasserait de mes bras, du culte de mon âme. Je me la figurais impure, inassouvie, sans cesse à la recherche de caresses plus frénétiques que les miennes. Elle errait, pensais-je en des insomnies implacables qui me corrodaient, vêtue d'imposture à travers des passions étranges qu'elle cueillait pour les effeuiller et les piétiner. Je rôdais sous ses fenêtres, à une heure tardive de la nuit, j'assiégeais son seuil jusqu'aux premières lueurs du matin, en écoutant la souffrance sonore de la mer, le frémissement des palmiers sur ce cours, désert comme une voie de tombeaux, où, çà et là, sous la lune, des tentes d'estaminets allongeaient leurs ombres. Souvent, elle s'échappait de sa maison endormie, et, au fond d'une barque qu'un batelier discret guidait par les solitudes paisibles de la mer, notre amour communiait avec l'infini nocturne. Heures bienheureuses où, loin de tout rivage, hors de toute prison, bercés dans le rêve des flots qu'enchantait le rythme des rames, audessus de gouffres pavés de ruines, je prenais ses doigts légers, je considérais sa gorge à demi dévoilée, ses yeux noyés de délices, son visage plus beau qu'une large fleur sur les eaux, j'écartais doucement ses genoux!. Heures fastueuses où sur sa bouche pleine de baisers et de chants, je respirais la nuit et la mer.., Heures languissantes, tombées on eût dit de la lune, corbeille fleurie d'épousée, heures éphémères comme l'haleine de jolies lèvres sur un miroir,.. Elles effaraient l'angoisse lancinante des heures vécues entre les maisons, parmi la mesquinerie et la cruauté d'une foule désœuvrée....