Extrait du journal
UNE ENQUÊTE DE « JE SUIS PARTOUT » « • * (0 Le cinéma vu par ceux qui le font M. René Clair René Clair a cette physionomie un peu désa busée que l’on voit aujourd’hui chez les meil leurs artistes de notre écran. René Clair est le moins doctrinaire des hommes, et cependant, le sort des images mouvantes ne lui apparaît qu’une conséquence, entre tant, d’un système fi nancier, moral, social qui lui semble partout impuissant et désordonné. « Ce que j'ai écrit l’an dernier dans Le Temps, ce que je vous ai dit cet hiver pour Candide, bien entendu, je le pense toujours. Le cinéma restera un jouet du hasard, et l’on ne pourra rien attendre de lui, que par miracle, aussi longtemps qu il subira les méthodes et le contrôle des indus triels qui l’ont entre leurs mains. » Je songe a la formule rigoureuse de René Clair : « Dans le cinéma de 1933, un nou veau Charlie Chaplin n’aurait aucun moyen de s’imposer, de s’exprimer. » Je sais encore ce que René Clair m’a si souvent répété et qui est la condamnation la plus sévère de l’état du cinéma : « J’ai eu de la chance, j’ai pu, jus qu’à ce jour, agir seul, prendre la plupart de mes responsabilités. On m’envie ma situation morale, qui parait exceptionnelle. En fait, cette situation est très précaire. Sur les balances du cinéma commercial, je pèse moins lourd qu’un fabricant de vaudevilles. » « N’attendons surtout rien d’une réaction spontanée contre un excès de sottise. Mon chauffeur avait vu tourner quelques scènes de La !\largoton du bataillon. Il m'a dit : « C’est « impossible, on ne pourrait jamais passer « ça. » Eh bien ! La Maigoton du bataillon est un des succès d’argent de la saison. » Education du public, spécialisation des sal les, tentatives pour élargir le marché du cinéma français, René Clair estime inutile d’en dis cuter. On ne transformera pas par le détail une organisation viciée à la tête, où le mépris absolu des valeurs spirituelles est la règle la plus constante. En théorie, René ( ! air ne voit qu’un seul remède : le cinéma d’Etat. Mais il se hâte d'ajouter qu’il n'est aucune forme ac tuelle d’Etat où le cinéma ne risque pas de s’avilir encore, s’il tombait sous leur dépendance absolue. Nous citons des livres, des scandales finan ciers, des énormités de la censure ou des pro ducteurs. René Clair, avec la finesse de son esprit et de son visage, me semble un jeune gentilhomme jeté par le sort dans une troupe de maquignons. « Au fond, me dit-il bientôt, d’un air plus blasé que jamais, je me demande si ce n'est point nous qui nous trompons en apportant dans le cinéma nos habitudes, nos ambitions d’intel lectuels qui seraient peut-être un peu moins déplacées ailleurs. Ne faussons-nous pas à la fois l’outil et les règles du jeu ? Il se jieut que le cinéma n’ait d’autres fins que de montrer M. Milton, M. Armand Bernard en caleçons, que ceux qui les emploient soient les seuls à avoir raison. Le cinéma dépend peut-être bien de trop gros ressorts pour acquérir jamais la subtilité, la délicatesse que nous souhaiterions, et dont il n’est point prouvé qu’elles soient plus viables que le reste. De braves vaudevilles bien épais, des feuilletons policiers dont la diffusion, l’amortissement sont en rapport exact avec le prix écrasant d’un film, il est bien possible que ce soient les fins naturelles du cinéma, et que lorsqu’ils sont montés dans un bon mouvement, qu’ils ont mis la bonne humeur dans une salle, nous devons être au bout de nos désirs. » Un peu plus tard, pourtant, je disais à René Clair : « Un ami, l’autre jour, s’amu sait à prendre contre moi la défense du ciné ma : * Vous n’avez pas connu le répertoire « des théâtres populaires, vous n’avez pas lu < les bouquins que l’on écrit pour les midinettes « et les petits employés. Lorsqu’un brave hom« me du XX* arrondissement ou de quelque « canton va dans son cinéma, ce qu'on lui « offre n’est pas plus médiore pour le contenu « et sans comparaison pour la forme que la « marchandise des anciens théâtres de la péri me phérie ou des tournées provinciales. Pour la « majorité de son public, le cinéma constitue « un progrès. Il n’est pas en tout cas plus « absurde que d’autres pâtures. » — Votre ami a raison, me dit René Clair. On fait de bien mauvais cinéma. Mais le théâtre n’est-il pas pire encore ? J’ai vu cette année telle pièce d’un homme illustre, et dont le talent a paru inépuisable. Il y avait là-dedans des répliques si creuses, si vulgaires que 1 on n’oserait pas les fixer sur un écran, et qui font sans doute illusion pour certains, avec l’optique diffuse du théâtre. Le cinéma n’est pas seul à être fort malade. Et tenez, un film comme Trouble in Paradisc de Lubitsch ne va certes pas bien loin. Mais cette virtuosité, cette cohé rence du développement dramatique, est-il beaucoup de pièces de notre théâtre qui nous en donnent l’exemple ? » René Clair ne renoncera pas encore de sitôt au cinéma, à ce qu’il veut lui faire dire ! 1 out va au plus mal. Comme partout et toujours peut-être ? Et, comme toujours, il arrive que les pires obstacles cèdent à la fin, que les mi racles s'accomplissent pour ceux très rares, dans quelque domaine que ce soit, qui le méritent véritablement. M. Erich Pommer Aussitôt que j'ai appris l'arrivée à Paris de M. Erich Pommer, je me suis promis de le voir coûte que coûte. Seul en Europe, M. Pom mer représente ce type du directeur de pro duction chez qui l’adresse commerciale n’a pas étouffé le goût, ni même parfois l’audace, et que les metteurs en scène français appellent de leurs vœux, en perdant à chaque saison de nouveaux espoirs d’être exaucés. On juge un peu trop M. Erich Pommer sur certaines opé rettes du même moule qui ne valent évidem ment pas le diable : rançon de toute réussite cinématographique. Dans le monde de l’écran, il est impossible de régler pour une seule expé*...
À propos
Anticommuniste, profasciste, antisémite et positivement favorable à Hitler, Je suis partout est le journal d’extrême-droite le plus violent jamais publié en France. Si violent que son directeur Arthème Fayard, fondateur des éditions Fayard, décide dès mai 1936 de cesser sa parution. À sa mort en novembre 1936, le journal est toutefois relancé par son fils et Pierre Gaxotte, futur membre de l’Académie Française.
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