Extrait du journal

buste, ayant entendu, dès mon enfance, les conversations des présidents et secrétaires de comités et de fédérations, la distinction entre les purs et les impurs me semble aussi naturelle que fondamentale : — Un tel est républicain. Un tel est réactionnaire. — Pourquoi ? Ils votent pour le même candidat. — 11 y a autre chose : l’assiduité à la messe, les relations, l’éducation donnée aux enfants, un fils officier, une fille élevée par des sœurs, l’attitude plus ou moins marquée au moment de la laïcisation de l’école, l’obole donnée à telle souscription, la présence ou l’absence à telle manifes tation, l’adhésion à telle ou telle loi, la lecture de telle ou telle feuille... J’étais encore lycéen. On m’avait fait « sortir » un jeudi après-midi et, avant d’être conduit à la pâtisserie, je fus em mené à une réunion du comité de la Fédé ration républicaine-radicale et radicalesocialiste, d’où dépendait, paraît-il, le sort des élections. On me cala dans un coin, sur une chaise, en me recommandant de me tenir tranquille, devant un verre de limonade, tandis que les augures délibé raient. J’écoutais vaguement ce qui se dé battait quand ces paroles frappèrent mon oreille, je ne les ai jamais oubliées. — Poincaré n’est pas républicain, di sait le président. Non, Poincaré n’est pas républicain, mais nous ne pouvons pas nous passer de lui. Fit les autres d’approuver. Pourquoi pas ? Il devait manquer à M. Poincaré quelque bribe de l’inspiration. Peut-être n’était-il pas partisan de l’impôt sur le revenu ? Peut-être avait-il un patro nage religieux dans sa commune ? Que sais-je ? Et, rentrant dans mon sombre lycée, je voyais M. Poincaré poursuivi par l’ange exterminateur. J’ajouterai, pour être complet, que l’ange exterminateur était, de son métier, liquoriste. • • • La chute du cabinet est parfaitement claire : dans notre régime, le Sénat monte la garde devant l’orthodoxie républicaine. M. Mandel, parce qu’il a galvanisé la ma jorité de la Chambre, s’imagine avoir le droit de tripoter à son four les élections ? Sacrilège et profanation ! Sus à l’usur pateur ! Vous dites que des radicaux ont soutenu milis le scrutin à un tour ? Mais compre nez donc, une bonne fois, que le scrutin à un tour est légitime s’il doit donner la victoire des gauches, et qu’il est un atten tat contre la souveraineté du peuple, s’il doit assurer la victoire de la droite. 11 n’y a point de majorité qui tienne. La République est un régime de droit divin (sans Dieu). Ont été investis à perpétuité du gouvernement de la France les tenants d’un certain corps de doctrines. Les autres ne comptent pas, fussent-ils mille contre un, et le reste n’est que comédie. • • • Ceci dit, je ne vous empêche pas de rêver à une République différente. Pierre GAXOTTE....