Extrait du journal

Nous avons bien des fois montré que la gratuité de l’enseignement est un trompe l’œil et une duperie,et qu’en réalité l’école, au lieu d’être payée par ceux qui en profitent, est payée par tout le monde, par les pauvres comme par les riches, par les familles dont les enfants ont terminé leur éducation, comme par celles dont les enfants sont actuellement sur les bancs de la classe. Mais cette question a un autre aspect qui n’offre pas moins d’intérêt : c’est celui de la prospérité de l’école ellemême et de la valeur de l’instruction qui y est donnée. A cet égard, nous trouvons dans la Tribune des Institu teurs et Institutrices, journal nullement réactionnaire ni clérical, des réflexions très pratiques sur les avantages qui résulteraient de la suppression de la gratuité au point de vue des études. Elles émanent d’un instituteur de l’Etat et nous croyons devoir les repro duire intégralement : « J’ai démontré ici le 15 mai que la gratuité n’existait pas en réalité, que c’était un idéal qu’on ne pourrait jamais atteindre, et j’ai affir mé qu’il y aurait avantage au point de vue des études à la supprimer légalement pour rétablir sur de nouvelles bases la rétribution scolaire. La raison de mon affirmation est bien simple. Nous n’accordons généralement de valeur à un objet qu’en raison de ce qu’il nous coûte. Tout le monde connaît cette anecdote : Un individu entre chez un chapelier et demande un chapeau. On lui en présente plusieurs qu’il essaye et fixe son choix sur un des plus beaux articles du né gociant. Il en demande le prix. Douze francs, lui est-il répondu. Alors notre homme demande mieux, prétextant qu’il a l’habitude de mettre quinze à dix-huit francs. Aussitôt le rusé né gociant de répondre : « J’ai votre affaire dans un rayon à côté » et sous prétexte d'en rappor ter un à la tête du client, il emporte le chapeau qui venait d’être choisi, passe dans une pièce voisine et le rapporte après cinq minutes d'ab sence : « Voilà, dit-il, ce qui se fait de mieux et que je puis vous offrir à seize francs. » L’a cheteur, après avoir essayé, est satisfait. Il paye et s’en va, convaincu d’avoir fait un excellent marché. Il en est absolument de même en enseigne ment : plus une leçon est payée cher, plus on lui accorde de valeur et plus on vante la science du professeur. J’ai connu dans une petite ville un instituteur adjoint, qui, pour augmenter ses émoluments, donnait à domicile des leçons supplémentaires à un franc l’heure ; il n’en trouvait presque pas, bien qu’il fût un excellent maître. Son succes seur, qui ne se déplaçait pas à moins de cinq francs l’heure et qui n’était qu’un maître mé diocre, ne pouvait suffire aux demandes. Il semblait qu’une leçon de cinq francs dût être bien supérieure à celle de un franc. Conclusion. — Si les parents payaient la ré tribution scolaire, ils accorderaient en général une plus grande valeur à l’enseignement, par suite s’y intéresseraient davantage et la fréquen tation deviendrait plus régulière. Dans nos campagnes, on retient souvent les enfants pour les travaux champêtres ou la garde du bétail. Ceux-ci trouvent eux-mêmes de fréquentes occasions pour demander à rester. Si le père ne veut pas, l’enfant pleure et la maman cède, alors l’enfant manque la classe. Un jour, c’est peu de chose, et puis * on ne paye pas, il se reprendra demain. D'ailleurs, il a bien le temps, tant qu’il n’aura pas fait sa première communion, on l’enverra à l’école ». Si l’école n’était pas gratuite, il n'en serait pas ainsi. On répondrait invariablement à l’enfant :...