Extrait du journal

Pour nous délasser de l’harassante politique et nous évader de l’enlaçante Affaire, l’Affaire aux replia tortueux, voulez-vous que nous nous entretenions d’un sujet actuel et riant : les palmes académiques. Mais d’abord qu’il soit bien entendu que nous ne voulons faire aucune personnalité, aucune allusion ironique à des personnages connus. Il se trouve d’ail leurs que les trois violettes qui se sont accro chées, la semaine dernière, à des boutonnières roannaises, sont justifiées par des titres divers mais incontestables. Ceci dit, il nous sera permis de nous égayer en compagnie de M. Francisque Sarcey, notre oncle à tous, un sage qui a la sagesse avenante et dont le solide bon sens s’assaisonne du rire savoureux de nos aïeux. c Les palmesacadémiques,dit Sarcey,ont été créées pour récompenser les services des insti tuteurs. Les instituteurs en obtiennent par-ci par-là quelques-unes à grand’peine; elles pleuvent par milliers sur des gens qui ne sont pas plus instituteurs que les Espagnols de Meilhac n’étaient des Espagnols. « Les instituteurs s’en plaignént, et je trouve à ce propos, dans Y Avant- Garde pédagogique, une anecdote qui m’a paru bien plaisante. « Un Monsieur a grimpé sur l’impériale de l’omnibus Madeleine-Bastille. La pluie l’oblige en chemin, de descendre à l’intérieur, où se trouvaient déjà une dizaine de personnes. A la première station, le contrôleur montre son vi sage à la voiture. « — Le voyageur descendu de l’impériale ? crie-t-il. « Et tout aussitôt le conducteur crie à son tour. « — Là-bas, au fond, le monsieur qui n’est pas décoré. « Le monsieur jette sur ses voisins un regard circulaire. Le fait est que le conducteur ce s’est pas trompé ; toutes les boutonnières des hommes, tous les corsages des femmes étaient fleuris de rubans ou de rosettes multicolores : c’est naturellement le violet des palmes aca démiques qui dominait. « Tandis que le monsieur faisait cette consta tation, si douloureuse pour son amour-propre, tous les regards s’étaient tournés vers lui, avec un air de compassion sympathique. Un voya geur se pencha à l'oreille de sa voisine, et entre haut et bas : « — Ça doit être un instituteur, lui dit-il. « C’est par ces innocentes et spirituelles épigrammes que les instituteurs se vengent de la parcimonie des ministres. Il suffit de toucher à l’instruction par quelque endroit pour obtenir assez aisément le ruban violet ; mais, si l’on est dans l’instruction, c’est le diable pour le décrocher. « L'Avant-Garde pédagogique nous met sous les yeux un défilé assez comique de candidats qui viennent, l’un après l’autre, décliner leurs titres devant l’employé du ministère de l’ins truction publique chargé d’une première en quête. « — Vos titres, monsieur ? « — Je suis balayeur public. « — Balayeur 1 ça n’a pas ombre de rap port... « — Comment ! je nettoie les routes sur le passage des bicyles et des automobiles. Je con tribue ainsi au développement des « sports ». « — C’est juste. Votre demande sera éti quetée dans la catégorie de l’éducation physi que. A votre tour, monsieur ?...