Extrait du journal

tacher à cette robe historique aux longs plis secs et flottans, la frange quelque peu déguenillée de ce roman fameux qui n'a pa3 eu de commencement, qui n'aura pas de fin, et que tout le monde sait par cœur, môme ceux qui ne l'ont pas lu, et nous sommes de ceux-là? Donc au milieu de ce Théâtre-Français condamné à toutes les torpeurs, ruine insupportable et mai han tée , voyez arriver un à un les spectateurs anéantis à l'avance, attirés là par l'habitude, par l'oisiveté, par la tâche-qu'il faut remplir, bien plus qu'ils n'y viennent poussés par la curiosité et par l'intérét d'un plaisir auquel tous ces gens-là ont renoncé depuis longtemps. Vous entrez, et déjà tout dort dans cette salle peu réjouie et peu réjouissante. Le lustre jette là-haut sa clarté blafarde et monotone; la contrebasse ronfle dans son coin , et ronfle tout bas sa mélodie vieillotte de Lully ; du parterre au paradis s'étend la somnolence poétique. Cependant après les flonflons soporifiques de l'or chestre, la toile se lève et la tragédie se met en route. Au premier coup d'œil vous avez reconnu que ce n'est pas là un vaisseau d'une grande cargaison; aux dix premiers vers vous savez presque tous les vers que vous allez entendre. C'est qu'en effet vous êtes tombé dans cet art de convention qui a suivi immédiatement la tragédie de Voltaire, et quels que soient les efforts tentés depuis Zaïre, par tous les faiseurs à la suite, pour sortir de l'ornière fatale, la vieille ornière a fini par engloutir les esprits les plus généreux, les courages les plus hardis; à peine si de temps à autre quelques poêles, marqués du sceau de la nouveauté, par l'é nergie élégante du style, par la vigueur passionnée de la pensée, par quelqu'un de ces hasards heu reux qui transportent un instant les multitudes, par le secours et l'appui de quelque comédien tout puissant , de quelque comédienne inspirée, a pu vivre...