Extrait du journal

ON DEMANDE UN EMPLACEMENT Notre démocratie se pique d'honorer ses grands hommes : à la condition cependant qu'ils ne soient pas trop grands. Malheur à ceux dont la taille dépasse la moyenne. Seuls, les médiocres parmi les plus médiocres ont droit, paraît-il, à une statue : témoins, M. Viette et un M. Jamais, dont on vient d'inaugurer en grande pompe les statues monumentales. Par contre, Balzac n'a pas de statue, ni Alfred de Musset non plus et encore moins Sainte-Beuve. Mais voici ce qui est plus extraordinaire. Croirait-on que depuis dix ans, la Ville-Lumière, comme disent les Bassinet de l'Hôtel de Ville, n'a pas voulu trouver un empla cement pour la statue de Marc Séguin, l'immortel inventeur de la locomotive actuelle, le premier créateur des chemins de fer en France et l'auteur des ponts suspendus, sans parler d'une foule d'autres applications scientifiques dont une seule suffirait à perpétuer sa mémoire. Le plus curieux de l'affaire, c'est qu'on ne peut même pas invo quer le prétexte d'économie : la statue existe, elle a été donnée gratuitement à la Ville de Paris qui l'a acceptée, mais qui ne peut se décider à la faire sortir de ses magasins. A toutes les réclamations des donateurs, la Ville répond qu'elle manque de place et que Paris est déjà tellement encombré qu'il ne reste plus quatre mètres carrés pour une statue si petite qu'elle soit. On ne se moque pas plus agréablement des gens. Et cependant, si jamais homme a mérité une statue, c'est bien cet enfant d'Annonay, fils aîné d'une nombreuse famille qui, élevé en pleine tourmente révolutionnaire, et sans passer par au cune école, s'est formé par la seule force de son génie persévérant. Ce n'est qu'en 1797 qu'il vint à Paris compléter son éducation sous la direction de Montgolfier, son oncle, l'illustre inventeur des ballons. Rentré dans son pays natal, il créa à An nonay la première fabrique de draps et de feutres à l'usage des fabricants de papiers. L'usine ne tarda pas à prospérer, grâce surtout aux ingénieuses combinaisons que Séguin sut apportèr dans la création de son outillage. Rassuré, désormais, sur son avenir et sur le sort de ses frères qu'il avait associés à son œuvre, Marc Séguin porta son attention sur les ponts suspendus qui venaient d'être essayés en Angleterre et qui avaient donné des résultats assez défectueux. Marc Sé guin refit les calculs et se livra à de nombreuses expériences sur la ténacité, la résistance et l'al longement du fer forgé, du fil et de la fonte. Puis,...