Extrait du journal
C'étaient de grands enfants, rêvasseurs et naïfs, bien découplés, à la parole gutturale, aux yeux enflammes et brillants connue ue la braise ; c'étaient de braves gens lidmes, solides et dévoués, jusqu'à la mort, apportant avec eux le mystère des jungles et des torets. C'étaient des soldats-de France ou plutôt ues soldats de la plus grande France, de celle qui déroule ses paysages, ses traditions et ies richesses a des milliers de Kilométrés par-delà les mers. Ce fut un jour de délaite, tlflanques, nouieversés, ahuris, les bras ballants, affreusement las,, le regard traque, l'esprit et les membres comme englues, ils furent, epaves lamentables du grand naufrage, conduits sur la route de la captivité. Les pieds meurtris par les longues étapes, ils connurent alors la faim, la soif, le désespoir qui pesait sur eux comme une chape de plomb qui allait fixer, avec le sort de leur patrie d'adoption, leur propre et bien triste sort. Leur mal est sans doute le grand, le premier mal du pays ; il unit dans la souffrance l'empire tout entier. Chacun sait, au moins par ouï-dire, ce que furent au feu nos coloniaux.; leur héroïsme est légendaire et la legende n'est pas plus belle que là vérité. Il l'aut songer tout d'abord que si leurs peines sont celles de tous (l'éioignement de la terre natale, la séparation de la famille, la privation de la liberté), elles leur sont souvent plus dures, car ils sont forcément plus éloignes, plus isolés et habitués a une vie bien différente. La séparation d'avec tous ceux qu'ils aiment et le relâchement continu des liens qui les unissent à eux, l'exil sur une, terre étrangère, l'humiliation constante de la vie captive, les craintes et les apprenen sions sur le sort de cçux qui les touchent, autant de feux rongeurs qui les 'brûlent lentement, autant d'épines qui les harcèlent jusque uans leur sommeil et leurs rêves, a ce point que chez ceux qui manquent de force mentale, la lame finit par user le fourreau et l'on voit leur corps dépérir, leur raison s'obscuicir saris autre cause que la souffrance de l'âme. Par certains côtés, leur condition est pire que celle du détenu de droit commun ; il fait son temps et sait quand çà prendra fin: il peut même espérer u'abreger sa captivité par sa bonne conduite, mais eux, rien de clair et de certain, une morne attente qui se prolonge, une lassitude dévorante qui accable et ou ne flotte aucune espérance. SI loin que leurs regards se portent, ils ne voient que la nuit qui roule son flux d'ombre démente. A cela s'ajoutent les rigueurs du climat et cette barrière que crée autour d'eux, en plus des fils de fer barbeles, leur langue ou leurs dialectes particuliers. Ils sont las d'avoir saigné dans le désordre affreux des luttes inégales, las d'attendre on ne sait quoi qui ne vient pas. Ils descendent dans la solitude et l'oubli, gouffre brumeux où se perd ..tout ce qui leur reste de leur légendaire bravoure. Les vieux souvenirs de la,rizière qui déploie ses flots ondoyants da verdure, de la vieille pagode ou de la vénérable mosquée que le soleil embrase de ses feux câlins, du fleuve impétueux qui reflète un ciel d'or et le roule parmi ses ondes, de la case paternelle qui, sous le vent, chante tous les refrains des brisés, des vieux patriarches ratatinés et couchés qui, sur la place du village, réfléchissent, songent et dansent et trépignent d'un mouvement perpétuel ; ces vieux sou venirs, dis-je, ont la couleur des soirs de deuil. Tout cela fait une lourde somme de souffrances qui coulent, grises et lourdes. Mais bientôt, dans le secret de leurs camps, une mystérieuse tractation s'accompljt. Après tant de mois de méditations nourries dans le malheur, de disciplines construites dans la contrainte, de silence dans la cohue, de retraite dans l'activité, ils reprennent confiance et sans se plaindre, sans se départir de leur calnte, dominent leurs misères et redécouvrent leur patrie impériale. C'est en se heurtant à se meurtrir contre l'exil, à la barrière des langues et des coutumes, qu'ils ont eux aussi perçu leur vocation de citoyens de l'empire ; et si étrange que cela paraisse, ils ont puisé dans l'humiliation de la défaite des raisons supplémentaires de fierté impériale. On a de plus en plus l'impression qu'un patriotisme commun, éclos au feu de la souffrance et que notre détresse accroit encore, se développe au milieu de tous ces fils de l'empire. Il y a là une preuve irréfutable du succès de l'œuvre accomplie par la France dans tous les territoires si dissemblables, qui se sont trouvés, peu à peu. placés sous son contrôle. Et tous l°s jours, à l'heure où le soleil s'éteint, où la î ature entière semble joindre les mains comme pour des prières, du camp inhumain monte un chant d'amour fervent, flux d'espoirs et de craintes. Dans l'azur recueilli, partent vers le ciel les espérances de nos frères captifs vers lesquels vont toutes les pensées d'une France qui, forte de leur fidélité malgré les épreuves, n'abdique rien de son grand rôle et reste fermement décidée à les reprendre sous son aile régénérée....
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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