Extrait du journal

La période de folles spéculations qu'a traversée la Norvège pendant la guerre mondiale vient de fournir à Johan Bojer le sujet d'un roman, La Maison et la Mer, qui restera parmi les plus profonds et les plus attachants qu'il ait écrits. Il a placé ses personnages dans ce tourbillon si pro pre à séduire l'imagination, d'un écrivain qui, malgré son sens de la réalité, aime parfois à se laisser emporter par le fan tastique. Son héros n'est pas un Kruger, C'est un honnête homme gagné par la fièvre qui a envahi les Norvégiens, comme les Danois et même les Suédois, et qui devait leur réserver, ainsi qu'à lui, un si triste lendemain. Paul Pram, avocat, arrive à Oslo, alors Christiania, avec femme et enfants, au mois de novembre 1914. Nous avons nous mêmes, dans les mois suivants, pu voir le luxe qui s'étalait dans cette ville que nous avons connue jadis simple et mo deste ; il nous, frappait d'autant plus que nous venions d'une France assombrie par les deuils et par l'invasion. Le torrent des étrangers de toutes nationalités traversait sans discontinuer la presqu'île Scandinave, de Bergen à Oslo et à Stockholm pour se rendre en Russie et jusqu'en Asie. Ils avaient franchi la mer du Nord sur ces courageux petits bâtiments norvégiens dont un grand nombre avaient déjà coulé. Ils étaient seuls à maintenir les relations entre les alliés occidentaux et la Russie. Us fournissaient à l'Angleterre et à la France du salpêtre, à l'Allemagne" des vivres. Aussi en fallait-il toujours davan tage et plus ils périssaient, plus leur prix s'élevait. Les paysans se dépouillaient de leurs terres ancestrales pour spéculer sur les cargos. Avec un coup de téléphone, on achetait un bâtiment un million, avec un autre coup de téléphone on le passait à un second acquéreur pour deux millions. On vendait avec un profit sextuplé un con trat conclu avec un chantier pour la cons truction d'un navire. Telle est l'origine de la carrière aven tureuse de Pram. Bientôt il accumule les actions des sociétés qui se forment par tout pour lancer de nouveaux bâtiments, iLa guerre qu'il croit détester travaille pour...