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Journal des débats politiques et littéraires, 7 novembre 1918

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Journal des débats politiques et littéraires
7 novembre 1918


Extrait du journal

Le caractère dominant de la grandiose séance d'hier, c'est la gravité. Nous sommes restés graves dans les mauvais moments, nous ne cessons pas de l'être à l'heure de la victoire. Notre joie présente, comme nos inquiétudes passées, a quel que chose de réfléchi, de médité, qui ne répond pas à l'idée; superficielle qu'on se fait souvent de notre tempérament natio nal. Est-ce à dire que l'épreuve nous ait changés, ou n'est-il pas plus exact de re connaître que notre véritable nature ne se révèle que dans les temps héroïques? Nous n'osons pas être nous-mêmes dans le cours ordinaire de la vie publique et privée, et quand nous sommes nous-mêmes nous sommes tout autres et assurément meil leurs qu'il ne nous plaît de le paraître au théâtre commué la ville. C'est notre cas à tous, mais le cas le plus illustre est sans doute celui de M. Clemenceau. Oui retrouverait dans l'homme d'Etat délibérément assagi et pacifié que nous avons entendu hier le polémiste déchaîné dont la plume et la parole ne se refusaient aucune cruauté à l'égard de tous ceux qui l'ont précédé au pouvoir? Et quand M. Clemenceau adjure les nouvelles générations de re noncer aux luttes stériles, de s'abstenir, même dans les querelles de parti, de tout ce qui peut desservir ou affaiblir la France, qui est notre bien commun, ne fait- il pas comme un retour sur les que relles où il a lui-même joué un rôle qu'il juge maintenant en toute sérénité d'esprit ? « Nous avons tous commis des erreurs, dit-il, nous en commettrons en core, mais il ne faut pas en commettre trop, ni trop Le- travail de la France à refaire sera moins glorieux que celui de la France à sauver, et il sera plus ingrat. S'il n'était, pas abordé dans un esprit de concorde, d'abnégation, de renoncement réciproque à ce que chaque opinion a de trop exclusif, à ce que cha que intérêt a de trop égoïste, le sang versé l'aurait été en vain : nous ne serions pas « dignes de la paix ». Il n'est pas trop tôt pour faire entendre ces pres santes vérités. Certes, il ne s'agit pas de demander à qui que ce soit l'abdication de ses opi nions et de ses croyances. Mais un peu de compréhension du point de vue d'au trui n'est jamais un signe ni une cause de faiblesse. La faiblesse, pour un parti comme pour un homme, c'est de se croire infaillible, c'est de croire qu'on peut tou cher du doigt l'idéal qu'on vise,lequel nous est aussi inaccessible « que les astres qui éclairent notre ciel ». M. Clemenceau n'a voulu désigner expressément personne, mais quand il a parlé des partis qui s'ar rogent le monopole de l'infaillibilité sans que leurs connaissances soient à la hau teur de leurs prétentions, il en est un qui a spontanément accusé le coup. A qui la faute si les socialistes se sentent touchés dès qu'on parle de certaines marques d'aveuglement? Si respectueux qu'on puisse être de l'union sacrée, si peu dé sireux qu'on puisse être de revenir vaine ment sur le passé, comment oublier les formidables erreurs de jugement de ceux qui n'ont pas cru à la guerre avant de l'avoir vue, qui ont cru par contre à la révolution russe après l'avoir étudiée sur place, et qui croient encore aux bolche viks après avoir contemplé leur œuvre depuis "un an? Le pays aura la parole. Après avoir tant souffert, après avoir donné un si bel et si long exemple de .d'esprit de guerre», il saura s'inspirer de l'esprit de paix. Des paroles comme celles d'hier trouvent en lui un écho. Tous nous rendons hommage à ceux dont ' le sacrifice a permis la vic toire des Alliés, qui est la nôtre, mais que nous n'avons pas le fol orgueil de prétendre uniquement la nôtre. C'est m souvenir poignant de cette fleur de jeunesse fauchée pour le salut com mun qui donne à notre joie ce carac tère recueilli dont nous n'avons pas à nous défendre. Ce souvenir doit nous commander la discipline sociale et patrio tique. Tant de victimes illustres ou obs cures ne sont pas tombées pour que leur œuvre soit compromise par la chimère ou l'ignorance. M. Clemenceau"a évoqué en termes d'une poignante émotion l'i mage de ceux qui ont, depuis la défaite et la.mutilation de 1871, travaillé à l'œuvre de réparation, li a salué particulièrement Gambetla, contre lequel il a jadis rompu tant de lances parfois empoisonnées. Nous devons tous honorer de même, que nous partagions ou non l'ensemble de leurs idées, tous ceux qui ont servi la France, et la meilleure manière de les honorer, c'est de ne renier ni leur exemple, ni leur héritage. Ils sont morts pour que la...

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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