Extrait du journal

1 Les théories slavopliiles ont fait leur 1 chemin, appuyées d'une part sur l'a . mour-propre national, de l'autre sur des s intérêts qui sont bien aises de mettre leur • horreur de la concurrence sous le couvert du patriotisme, et peu à peu un esprit [ d'hostilité ou de dédain affecté pour les i idées et les choses d'Europe a pris la place de l'esprit d'imitation qui prévalait s auparavant. Il avait été question jadis d'accorder le calendrier russe avec le nô tre, et même de remplacer le vieil et in ; forme alphabet slavon, avec ses trente cinq lettres de forme bizarre, dont quel ; q.ues unes sont reconnues complètement inutiles, par l'alphabet latin ; la nouvelle école nationale n'a pas manqué d'écarter comme" autant de profanations ces réfor mes cosmopolites. Autrefois encore, les langues vivantes formaient la base de l'éducation, et tout Russe bien élevé se piquait volontiers de parler le français comme sa propre langue; il était même permis d'ignorer le russe, ce qui était ex cessif, mais on ne tolérait pas les fautes de français. Le nouveau système d'éducation, inauguré il y a une dizaine d'années, a rejeté les langues vivantes sur le second plan ; la jeune génération, élevée d'après ce système, estropie le français à la manière américaine, et, loin d'avoir honte de son ignorance, elle en est fîère ! Pourquoi se donnerait-elle la peine d'apprendre les langues étrangères? que les étrangers ap prennent le russe ! Dans un autre ordre de faits, à l'époque où l'on a commencé à construire les chemins de fer en Russie les ingénieurs que le gouvernement, encore très arriéré dans ce temps-là, avait fait venir de l'étranger sous le futile prétexte qu'il n'en existait point en Russie,—les in génieurs, disons-nous, voulurent donner aux rails 1 écartement qui avait été adopté pour les lignes du reste de l'Europe. Les théoriciens du « monde à part » ne man quèrent pas de s'y opposer et ils eurent gain de cause, en sorte qu'il faut et qu'il faudra de toute éternité changer de train à la frontière. Enfin, il est bien clair qu'un pays qui se pique de se suffire à lui-même ne doit importer de l'étranger que les ar ticles qu'il ne peut absolument pas pro duire. Il doit donc protéger efficacement l'industrie nationale, et au besoin fermer hermétiquement sa frontière aux produits étrangers. Dans les commencemens si libéraux du îegne d Alexandre 11, il avait été impru demment dérogé à ces saines maximes Des économistes anglomanes, frappés des résultats merveilleux des réformes de Robert Peel, avaient essayé d'introduire le libre-échange en Russie, et ils y étaient parvenus jusqu'à un certain point Le tarif russe avait été modifié dans un sens libéral, et les résultats de cette réforme ne s'étaient pas fait attendre. En peu d'années, le commerce extérieur de la Russie avait doublé, et, dans les derniers temps, le mouvement progressif s'était encore accéléré : de 1872 à 1874, les échanges de la Russie avec l'étranger avaient monté de 712 millions de roubles à 804 millions, c'est-à-dire à près de 3 milliards de francs ! Cette invasion des produits étrangers était trop en désaccord avec les théories nationales aujourd'hui prédominantes pour être tolérées davan tage, et l'on a commencé à y mettre bon ordre. Les protectionnistes ont profité habilement de la surexcitation patrioti que provoquée par la question orientale pour faire substituer le paiement des' droits de douanes en or au paiement en papier, ce qui équivaut, au cours actuel du rouble, à une augmentation générale de 35 0/0 sur tous les articles du tarif....