Extrait du journal

PARIS , 10 JUIN. La revue du 10 juin sera célèbre dans les fastes de la garde natio nale et de l'armée. La ville s'en souviendra long-temps comme on se souvient d'une halte après une longue fatigue. Jamais peut-être la garde nationale et le Roi et l'armée et les citoyens de tous les rangs n'avaient eu autant besoin de se voir, de se réunir, de se reconnaître, de se donner la main en plein jour! Aussi le Roi , l'armée , la garde nationale , toute la ville , se sont-ils revus et salués avec des trans ports inouis. A voir tout ce mouvement si animé, à entendre ces nom! reux vivatl qui eût dit que nous sortions d'une guerre plus que civile , comme «lit Lucain ? Qui eut dit que tous ces hommes en armes se battaient à outrance avant-hier ; que le Roi et son fils qui nous saluaient si bien et qui étaient salués si fort, avaient traversé la même ville au bruit de ta mitraille ; et que tout ce peuple , qui s'épanouissait au soleil avec tant de joie . se trouvait encore en état de siège et sous le coup d'une terreur ? Paris est ainsi fait. Paris est la ville des pro diges. Paris va se battre avec le plus grand sang-froid; et à peine a t-il essuyé la fumée , qu'il revient en grand uniforme crier : Vive le Rail Paris , si courageux , si brave, si calme , si avide d'ordre et de libeité! Tentez donc une autre fois de la soulever, cette grande ville! Jetez-lui le défi des batailles , tirez sur elle à bout portant ! Au pre mier coup de fusil tiré sur Paris , on peut dire , à coup sûr : Nous aurons une belle revue de soldats et de citoyens dans trois jours ! Cette revue du 10 juin était non seulement une consolation per sonnelle que se donnaient le Roi et la ville , mais encore c'était une alliance de toute la France contre les mouvemr s du dehors. Nous célébrions en même temps la défaite des factieux dans nos murs et la défaite prochaine des factieux hors des murs. C'était une dou ble joie parmi nous : la joie de la victoire présente et celle de la vic toire à venir. La rue St-Méry et la Vendée se tiennent encore par la main aujourd'hui, l'une vaincue , l'autre presque vaincue; les vain queurs d'hier , modestes qu'ils étaient dans leur triomphe, criaient : mort aux chouans ! oubliant ainsi leurs combats de la veille pour leurs combats du lendemain. A six heures du matin , la ville se préparait pour la revue. Les 17 légions de la garde nationale et les troupes de ligne étaient à leur poste. Cette double armée commençait à la barrière de l'Etoile et finissait à la barrière du Trône , embrassant ainsi dans toute son étendue cette belle et grande ligne de boulevards, qui fait de Paris une ville à part dans les capitales du monde. Il faut voir les boule vards le matin quand chaque maison est fermée , quand tout dort et se taît ; on se croirait au milieu de la campagne. C'était déjà un " fort beau spectacle de voir défiler tout ce monde de soldats et de citoyens. Comme ils avaient combattu ensemble , comme ils avaient été ensemble blessés et vainqueurs , comme ils avaient ensemble accompagné le cercueil de ceux qui sont morts , leur accordant le même hommage et les mêmes pleurs, ils se sont reconnus tout d'a boi d. ils se sont salués, ils ont pris ensemble le repas du ma'in ; puis quand le tambour a battu aux champs , ils ont porté les armes ! Et vraiment, à entendre tous ces fusils se remuer d'un seul coup ,on n'eût pas dit qui faisait mieux l'exercice des soldats ou des citoyens ! Ceux qui n'ont assisté qu'aux revues du Champ-de-Mars ne peu vent se faire une idée de la revue de ce jour. Sans doute rien n'égale, pour le coup d'œil, cette vaste pleine du Champs-de-Mars, ces faau-...