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Journal des débats politiques et littéraires, 12 avril 1895

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Journal des débats politiques et littéraires
12 avril 1895


Extrait du journal

. Le problème de l'éducation populaire est dé ceux qui se posent d'urgence dans une démocratie. Le suffrage universel suppose que tous les citoyens sont assez éclairés pour se rendre compte de l'intérêt public et y conformer leur vote. Autre ment, c'est une force aveugle, dont les ma nifestations irraisonnées sont une menace continuelle pour l'Etat, et même pour la société. Le développement de l'instruction primaire ne doit pas trop nous rassurer à cet égard; tout ne sera pas sauvé du jour où le dernier illettré saura lire, car l'instruc tion seule est un viatique insuffisant pour la vie et les devoirs qu'elle implique. Elle n'a pas une vertu moralisatrice par elle même, comme on a paru le croire à cer taine époque et dans certains milieux ; elle meuble l'esprit, mais ne l'élève point nécessairement, et le bambin de onze ou douze ans, pourvu du certificat d'études, ne deviendra pas, par la grâce de son di plôme, un homme de bien et un utile citoyen. S'il est abandonné, sans autre sauvegarde que son modeste bagage scien tifique, à toutes les influences et à toutes les tentations qui se le disputent de l'école au régiment, il a plus de chances de se laisser séduire par les idées creuses ou malsaines que d'être conquis par les bon nes. Les notions d'enseignement moral et civique, dont l'instituteur a déposé le germe dans sa mémoire plutôt que dans son cœur, resteront inertes et s'effaceront* peu à peu, si nul n'est là pour les cultiver et les défendre contre les mauvais con seils et les mauvais exemples. L'éduca tion n'est pas faite, et ne peut pas être faite, à la sortie de l'école primaire : elle est à peine ébauchée. Malheureusement, personne ne se charge de la compléter. On a pu dire que la jeunesse française était « moralement abandonnée ». Autrefois les cours d'adul tes recueillaient du moins les jeunes gens de bonne volonté. Il y a seulement une douzaine d'années, on comptait un chif fre rond de 36,000 cours de ce genre : c'est dire que peu de communes en étaient dénuées. Aujourd'hui, il en sub siste -7,000, qui végètent péniblement et qui disparaîtront, comme les autres, si rien ne change. C'est là une décadence Bur laquelle il n'est pas inutile d'appeler l'attention. Elle s'explique, d'ailleurs, par d'assez bonnes raisons. Les an ciens cours d'adultes s'adressaient le plus souvent à des ignorants et à de» illettrés. Leur programme était le même que celui des écoles primaires. La lecture, l'écriture, le calcul, l'orthographe, en for maient la base ; quelques éléments de géographie et d'histoire de France s'y ajoutaient, exceptionnellement, pour les élèves plus avancés. On ne sortait pas de ce cerclé restreint. Avec les progrès de l'instruction dans les masses, des besoins nouveaux se sont fait jour, d'autres ont disparu, et il est devenu de plus en plus difficile d'attirer à une classe du soir ainsi comprise des jeunes gens pour qui elle n'offre pas vraiment untrès grand intérêt. La modification des cours d'adultes au rait dû suivre les progrès de l'enseigne ment primaire. Les laisser stationnaires, quand tout a marché autour d'eux, c'était les condamner à s'atrophier, comme tout organe qui a perdu sa raison d'être. Et c'est ce qui est arrivé. L'Etat en a pris d'abord son parti, très philosophique ment. Au lieu de réagir, de s'ingénier à faire mieux, de rajeunir les programmes pour en raviver l'intérêt , il n'a vu là qu'une économie et s'est empressé de la réàlisèr. De leur côté, les municipalités ont laissé tomber en désuétude une insti tution qui paraissait devenue sans objet, et c'est ainsi qu'au milieu de l'indiffé rence générale les cours d'adultes se' meurent obscurément. L'Etat, qui consa crait jadis 1 million 1/2 à les encourager, ; ne leur a accordé, en 1894, qu'un crédit de 20,000 fr., le prix d'un enterrement de première classe. Cette disparition, si elle était définitive et sans compensation, serait pourtant un malheur national. On commence à s'en apercevoir. De ce qu'une institution ne rend plus les services en vue desquels elle a été créée, il ne résulte pas qu'elle n'en puisse rendre aucun. Les cours d'adultes....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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