Extrait du journal
béotiens qui se fatiguent d'entendre appeler Aristide le piste et M"* Mars la parfaite, vont arriver en s'écriant tout haut, les ingrats, les barbares et les menteurs (j'ai dit les men teurs) , que l'heure de la retraite a sonné , que voilà déjà long-temps que Mlic Mars est le plus grand artiste de son siècle, et qu'enfin elle doit faire place à d'autres. Voilà les grands raisonnemens qui ferment son théâtre à Mlle Mars. Il est vrai que, par un privilège qui n'appartient qu'aux têtes couronnées, l'extrait de naissance de M»« Mars se trouve dans l'Âlmanach royal ; on a tiré le canon le jour de sa naissance. Elle est la seule femme de ce siècle ( après les reines) à qui il n'ait pas été permis de profiter du bénéfice que toutes les femmes apportent en ce monde, et dont elles usent largement, d'ôter de leur vie les premières années inutiles, les années sans amour, l'innocence des premiers jours, les bondissemens de l'enfant, les rêveries de la pe tite fille. Cela fait toujours dix ou douze ans de moins sur la tête brune ou blonde de toutes ces adorables men teuses. On iie croit pas tout-à-fait à leur mensonge; mais au moins en croit-on la moitié ; et puis, à force d'insister, à force de déranger tous les ans vos calculs, à force de compter une année de moins chaque fois qu'elles ont une année de plus, elles font si bien leur compte que vous ne savez plus le leur ni le vôtre.' Elles vous em brouillent si bien dans leurs soustractions que vous ne savez plus comment faire la preuve de tous ces calculs. Ainsi va le monde. Le monde n'a jamais que trente-six ans. C'est la limite fatale où il s'arrête. Une fois que cette limite fatale est dépassée, on ne compte plus ; c'est un crime de compter. Il n'y a plus d'autre almanach que la blancheur de la dent, la vivacité du regard, la grâce de la démarche, et toutes ces jeunesses extérieures à l'usage des femmes qui n'ont plus que celles-là. Nos Parisiennes surtout sont admirables pour ces hâbleries de la beauté ; et comme pas une ne s'en fait faute, il en résulte que celle qui, par ha sard, dirait justement la vérité, et tôute la vérité pourrait être, à bon droit, accusée de mensonge. Que dans un salon une jeune et jolie femme de vingt-sept ans, soit originalité, soit caprice, soit probité, s'imagine d'avouer tout haut qu'elle aeu vingt-sept ans il y a trois jours, aussitôt Tâ tonnement est général. Vingt-sept ans ! mais c'est un âge qui n'est pas dans le calendrier ! Vingt-sept ans! s'écrient les autres femmes ; mais nous sommes vos aînées, et nous n'en avons que vingt-quatre. Vingt-sept ans, c'est comme cela, répond l'entêtée jeune femme. —Eh bien soit ! vingt-, sept ans, répondent ses bonnes amies. Et trois mois après, au premier bal où elle va réussir, ces bonnes amies diront aux jeunes gens : Vous voyez bien là-bas cette dame qui porte des roses blanches sur la tête et qu'on entoure, c'est une femme de quarante ans, qui le dirait? Et la preuve? répond le jeune homme. —La preuve, c'est qu'elle en avouait vingt-sept l'autre jour. Il ya de quoi dégoûter'de la vérité, n'est-il pas vrai? A MUe Mars cet artifice a manqué, cet heureux mensonge a été impossible. Elle, comme une femme d'esprit, s'en est consolée bien vite en redoublant de jeunesse et de bonne grâce. Elle a été si long-temps ce qu'on appelle une jeune femme, qu'elle se moquait bien fort du calendrier auquel on l'attachait. Quelle taille divine! quel geste honnête!...
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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