Extrait du journal
Le Sénat a entamé le débat sur la proposi tion de résolution, de M. Léon Bérard con cernant la licence ès lettres. Il s'agit de re faire de la licence ès lettres, quelle que soit la spécialité qu'elle comporte, un examen de culture générale permettant à ceux qui l'ont subi de donner un enseignement secondaire classique qui 11e soit pas une contrefaçon. M. Victor Bérard a défendu avec sa verve coutumière et son expérience professionnelle la proposition de son homonyme. Il a rap pelé, cç que nous avons tarit de. fois signalé ici même, qu'un licencié ès lettres peut être, dans un collège, appelé à enseigner ce qu'il n'a jamais appris, ce dont on ne lui a pas demandé de faire preuve à l'examen. L'éti quette « ès lettres » confère à un licencié d'allemand la faculté d'enseigner le latin dont il peut n'avoir aucune idée. Au collège d'Arbois, a dit M. Victor Bérard, nous n'avons plus de professeur de latin ',j£ de grec. On nous a envoyé un licencié de philb sophie pour enseigner l'allemand et l'anglais, le professeur envoyé pour la classe de pre mière a dû être mis en sixième. Ne sachant pas le latin, il sera de pair avec ses élèves : il le commencera avec eux. Tout ceci a l'air fantaisiste : dites-vous que c'est à peine exa géré. Mais, objectera-t-on, il y a une version latine à la licence, même pour les licenciés spécialisés. Sans doute, ils ont même le droit de choisir à" la place une version grecque, mais il n'y en a jamais eu d'exemple. Quant à la version latine, elle est « d'une telle fa cilité, constate le rapporteur, M. René Héry, que le succès à une pareille épreuve ne donne pas une garantie quelconque de culture clas sique ». On a dû la mettre, non pas au ni veau du grade supérieur auquel elle conduit, mais au niveau de ceux qui y prétendent. Comment demander à des maîtres, si dé voués et intelligents qu'on les suppose, de donner à leurs élèves une culture littéraire dont ils ont été eux-mêmes privés, parfois bien malgré "eux ? 11. y a un point où le paradoxe change de nom. Encore s'agit-il ici de la licence véritable, de celle qui donne le droit d'enseigner, de celle qui mérite son nom : ,liccntia docendi. Mais on a créé, à l'usage dés amateurs ou des étrangers, une licence honoraire, une licence de luxe, obtenue par l'addition de quatre certificats sur les matières les plus diverses, les plus incohérentes, au gré du caprice individuel. Il est entendu qu'elle ne sert à rien, qu'à jeter un peu de poudre aux yeux, encore que M. Victor Bérard laisse entendre que des ministres, assiégés de recommandations, ont parfois assimilé à l'autre ce titre sans valeur utilisable. Il se rait plus sûr et plus honnête de lui retirer un nom qui prête à la confusion, et de lui en trouver un qui ne permette ni erreur ni abus. Il n'est pas question de refuser aux étrangers ou aux amateurs bénévoles une consécration qui les attire et les retienne sur les bancs de nos Facultés. On a créé pour eux un doctorat d'Université, dénué de sanctions en France; une licence d'Université pourrait être créée dans le même esprit. C'est une satisfaction qu'il ne serait ni gra cieux ni habile de refuser à nos hôtes intel lectuels, encore qu'il ne faille pas trop bruyamment invoquer le profit qu'ils tirent de notre enseignement supérieur, si éminent qu'il puisse être. Nous avons présentement en France 15.000 étudiants étrangers. C'est flatteur et pré cieux. Mais, remarque mélancoliquement M. Victor Bérard, qui les connaît bien, qui en a vu beaucoup travailler sous ses aus pices, « il y en a plus d'un tiers qui, chaque année, quittent notre pays sans savoir un mot de français ». Et ce n'est pas absolument leur faute. Us viennent presque tous à Paris, ou, en tout cas, il en vient beaucoup trop à Paris : on n'en compte guère que 2.500 en province. Le personnel, les locaux de nos Facultés de Paris ne sont pas prévus pour un tel afflux. Nous avons 27.000 étudiants à Paris aujourd'hui; il y en avait 5.000 en 1875. 11. n'est pas étonnant qu'on ne puisse les connaître de près. Au contraire, en pro vince, on a le temps et la place de s'oc cuper d'eux, de perfectionner leur connais sance insuffisante de la langue, de les met tre en état de suivre les cours auxquels ils sont inscrits. Un diplomate étranger suggé rait l'idée d'exiger de ces novices un ou deux semestres dans une Faculté de province avant d'être acceptés à Paris. C'est difficile à exiger, mais, certes, excellent à conseiller. Le Sénat n'a pu terminer hier cet im portant débat, parce que le ministre de l'ins truction publique était appelé à la Chambre pour la discussion finale de la loi de finan ces. Nous ne doutons pas que M. Mario Roustan ne partage les préoccupations dont le Luxembourg se fait l'écho. Il connaît la question, il n'est pas de ceux qui font bon marché de l'enseignement classique, il n'ignore pas que cet enseignement mourra sans phrases si l'on continue à recruter ceux qui doivent le donner parmi des jeunes gens qui ont été mis eux-mêmes dans l'impossi bilité de le recevoir. A. ALBERT-PETIT....
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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