Extrait du journal

■ La maison où j'habite a cet avantage d'être , hantée par les martinets. J'aurai goûté pëu de minutes plus heureuses que celles que je passe sur le balcon d'où je les regarde voler. Le soir, ils tournent dans un grand bassin d'air avec des cris si ivrés. que je ne crois pas que la vie en ait, sur la terre, qui soient d'un effet plus puissant ; leur vol est à la fois si libre et si sur que l'œil ne se lasse pas de suivre '«les - Courbes de cette calligraphie foudroyante. Que d'images ils Suscitent ! ils s'ont jetés sur le ciel comme des lettres arabes sur la page d'un manuscrit. Par moments ils passent sur moi en me rasant de si près que je crois voir les cimeterres qui font voler des têtes. Ils se poursùiv»erîfj s'entremêlent, puis soudain replient leurs ailes comme les lames d'un grand canif, pour se glisser dans leur nid. Au loin, les édifices émergent des vapeurs de la jour née. En bas, les passants vont et viennent, comme alourdis par leurs soucis, mais cette espèce m'est très étrangère. L'espèce proche, pour moi, ce sont ces martinets assourdissants, ces joueurs du ciel. Cependant il me semble qu'ils sont moins nombreux que les autres années, et comme d'autres personnes me font part de la même remarque, je me demande s'il n'y a pas quelque part de valeureux chas seurs qui se sont mis à fusiller les hiron delles. Il serait plus que temps de modi fier sur ce point la sensibilité publique. Les oiseaux ont déjà bien des amis chez nous, mais qui ne peuvent guère, pour le moment,, que se désoler. J'ai reçu derniè rement, d'un lecteur de ce journal, une lettre très touchante où il me décrit ce qu'il voit de sa fenêtre, c'est-à-dire les chasses terribles que font aux: rossignols et aux fauvettes, dans les jardins de la rue de Varenne et de la rue Barbet-deJouy, les chats du quartier. Ne pourrait-:on obtenir que certains jardins de Paris, comme cela se pratique déjà à la cam pagne, devinssent des refuges d'oiseaux, avec des murs garnis de défenses qui em pêcheraient les chats de passer ? Surtout qu'on ne trouve pas de pareils soucis ridi cules. On s'occupe des oiseaux dans tous les pays et, là encore, si nous ne faisons rien, la France sera le pays retardataire qui estdépassé par tous les autres. Ayant beaucoup vécu en Italie, et toujours pour mon bonheur, je regrettais souvent que les oiseaux n'y fussent pas plus* aimés. Mais...