Extrait du journal

TOUS RETRAITÉS « Peuple de révolutionnaires et de déco rés », s'écriait J.-J. Weiss en parlant de nos compatriotes. Il aurait pu ajouter « peuple de retraités », car, du train dont les choses marchent, le moment est proche où tous les Français ayant dépassé l'âge de la maturité seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite. Les fonctionnaires ont bon gré mal gré donné l'exemple, et ouvriers, pay sans, employés déclarent aujourd'hui qu'à partir de cinquante ans ils se sentent inca pables de gagner leur vie en travaillant et que la communauté doit pourvoir à leurs besoins. Il semble que l'idéal de la vie consiste pour nous à se retirer prématuré ment de la lutte pour végéter obscurément dans quelque coin. On demande non pas à continuer de vivre, mais à ne pas mou rir de faim en ne faisant rien. Les Romains de l'antiquité avaient une autre conception de l'existence : ils souhaitaient que la mort les trouvât debout. Nous préférons l'atten dre couchés. Ce n'est pas viril, encore moins héroïque, mais notre époque ne se pique guère d'héroïsme. Le plus curieux de l'affaire est que cette passion de la rétraite, ou plutôt cette pas sion pour la pension de retraite, les deux choses sont inséparables, part d'une idée juste qui répond aux instincts lesfilus invétérés de notre race. Si le Français, le paysan français, qui a fait notre pays, a été de tout temps si âpre à l'économie, ce n'est pas tant par amour du lucre que par la crainte de manquer du nécessaire sur ses vieux jours. A l'inverse de l'Anglais ou de l'Allemand, le Français est hanté toute sa vie par la préoccupation d'une vieillesse nécessiteuse. Pour se soustraire à ce cau chemar il entasse sou sur sou et s'impose, sa vie durant, les plus cruelles privations. C'est dans ce sentiment, poussé souvent à l'extrême, qu'il faut chercher le secret de la prodigieuse vitalité d'un pays qui peut faire face, sans trop souffrir, aux révolu tions et aux . krachs variés de gouver nements prodigues. N'est-ce pas en ef-...