Extrait du journal

Qu'on ne m'accuse pas de paradoxe ! Quelque étrange que cela puisse paraître, il est très vrai que les électeurs imposent très souvent aux candidats des program mes auxquels ils ne croient, pas eux mêmes. Ils n'ignorent pas que les candi dats n'y croient pas davantage, et que c'est par conséquent de leur part une sorte d'humiliatidn de les accepter. Mais c'est pour eux un moyen de satisfaire un sentiment qui, bien que peu noble, n'est pas peu répandu : le désir de mettre plus complètement sous leur dépendance ceux auxquels ils accordent des mandats. Quand ils ne vont pas d'enthousiasme ver 3 un homme dont la supériorité s'im pose, ils aiment à placer, autant que possible, celui vers lequel ils vont sous leur main ; quand ils ne saluent pas un chef, ils tiennent à s'assurer d'un serviteur. Le programme est alors une sorte d'uniforme qui marque la sujétion, ou, si l'on veut, la discipline. Comme il est pénible et légèrement honteux de l'endosser, on ne \e fait qu'à la condition d'avoir une véritable docilité". Peu importe alors ce que contient le programme ! Il est un signe, un emblème, voilà tout ! En l'imposant aux candidats, les électeurs n'ont pas d'inquiétude sur les conséquences possibles de son exécution. Connaissant le tempéra ment de leur élu, persuadés qu'il est modéré et conservateur, ils sont convain cus que cette garantie est suffisante pour prévenir tout malentendu à cet égard. Les hommes les rassurent sur le pro gramme , tandis que le programme leur assujétit les hommes. A coup sûr , rien n'est plus dangereux qu'une pareille méthode électorale, et c'est un véritable malheur que les procé dés de l'opportunisme l'aient généralisée. Mais le fait est qu'elle est pratiquée un peu partout aujourd'hui. Il va-sans dire que ce sont les comités qui donnent l'exemple de ce besoin d'abaisser le can didat devant les électeurs, mais le carac tère du paysan s'accommode assez de cette manière d'agir. Le paysan est jaloux et méfiant par nature; son instinct et ses...