Extrait du journal

Au Luxembourg Comme-je n'avais pas pu aller àla cam pagne, j'ai essayé de surprendre le prin temps dans un de ces jardins publics qui sont comme des pièges que la ville tend aux saisons. Je" suis entré dans celui du Luxembourg et, arrêté devant le monument de Delacroix, j'ai regardé là partie du jardin où l'on ne pénétre pas et qui dé pend du palais. On entendait un merle essayer à mi-voix, avant de la chanter à pleine gorge, sa phrase sonore. Sur lîh arbre mort, noir comme, la carcasse d'un feu d'artifice, deux pigeons semblaient tout prêts à mettre en action le premier vers de leur fable. D'autres arbres com mençaient à bourgeonner, et, derrière eux, le plus grand, encore insensible à la saison, élevait dans le ciel bleu pâle une ramure si fine et si ténue qu'elle semblait, tout eflifière, n'être faite que de cils. Ce pendant tous ceux d'alentour verdissaient, rougissaient déjà, mais chacun avait sa façon particulière •de reprendre vie. La variété des bourgeons est admirable. Les plus précoces ont une petite pelisse,'pour les protéger des nuits froides. D'autres sont comme de grands ongles d'argent posés sur . le feuillet de soie de l'azur. D'autres brillent comme les gouttes d'eau d'une averse, d'autres comme des mouches qui vont s'envoler. D'autres ressemblent en. se déployant à des papillons minus cules. Certains garnissent leur arbre com me un plumage, certains sont pareils, sur les rameaux noueux,, à ces flammes rares, et droites qu'on voit, dans les églises, sur. les bras des lampadaires de bronze. Puis, quand on s'éloigne, tout cela se brouille* et on n'ajperçoit plus qu'une vague fumée de verdure. Je regardais ceS/dioses avec un mélange d'attendrissement et d'extase. Le prin temps est le plus grand phénomène de crédulité. Il est impossible de n'être pas ému, par ces arbres en fleurs qui jurent qu'un nouveau monde va. nàître, par ces' oiseaux qui le proclament, et il faut sou haiter d'avoir toujours en soi ' quelque désir, quelque amour naïf, pour s'associer à l'universelle espérance. On n'est vieux que du jour où l'on n'ose plus rien com mencer. Tandis que je rêvais ainsi, j'en tendais les enfants pousser des cris que je mêlais à ceux des oiseaux. Des vieil lards jouaient au croquet, une jonchée, de paresseux était jetée-au bord des allées,...