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Journal des débats politiques et littéraires, 23 juin 1923

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Journal des débats politiques et littéraires
23 juin 1923


Extrait du journal

Les ombrages d'Angora Angora est la Benjamine des modernes capitales, sauf erreur, car on ne s'y reconnaît plus aux temps où nous vivons. Les rares Européens qui l'ont visitée la décrivent comme une ville sans charme et l'on chercherait en vain les raisons qui l'ont fait adopter par la Jeune Turquie comme siège du gouvernement, si les gens informés ne s'empressaient de vous ap prendre que c'est son insignifiance même qui lui a valu l'honneur d'être choisie. 11 y a en Asie Mineure des cités anciennes et vénérables, entre lesquelles Koniah et Brousse brillent du plus vif éclat. L'une et l'autre, fières d'un long passé, ont été capitales : Koniah s'enorgueillit du règne des Seldjoucides, dont le pouvoir s'éten dait de l'empire de Trébizonde aux bords du Pont Euxin; Brousse allègue le souve nir des rois de Bithynie et revendique la gloire d'avoir été brûlée deux fois par d'illustres incendiaires, la première par Timour, là seconde par Soliman. A ces titres augustes, Angora n'oppose que la réputation, des chèvres, des lapins, des chats aux .poils longs et soyeux à la rgce, de qui elle a transmis son nom*. Elle doit justement sa fortune à ce pedigree md deste. Tandis que Koniah ou Brousse, villes chargées d'histoire, auraient cru au retour définitif de leur antique splendeur, et, rétablies au rang de capitales, auraient difficilement accepté d'en redescendre, l'humble Angora, étonnée des honneurs qui lui viennent, trouvera tout naturel de les voir s'éloigner comme ils étaient venus, quand le départ des Américains, des An glais, des Français et autres infidèles aura rendu Constantinople habitable aux Croyants. Voilà l'unique raison qui fait que l'As semblée turque se tient à Angora; il n'y en a pas d'autre. A part ses chats soyeux ses lapins et ses chèvres, Angora n'offre aucune de ces curiosités qui concourent à l'attrait d'une villégiature; point de pa lais, point de belles mosquées, et, qui pis est, pas de logements. Une chaleur torride y sévit une bonne partie de l'année; le moindre vent soulève des trombes de poussière; les routes, dépourvues d'ombre, découragent la promenade. Aussi, le pre mier soin du gouvernement a-t-il été de planter des arbres. Heureuse et bienfai sante pensée. C'est si joli, les arbres, dans les pays de soleil! Qui oublierait, après les avoir vus, les cyprès de Scutari et les platanes géants qui se mirent dans les Eaux Douces? Les gens d'Angora .se montrèrent ravis. Ils allaient donc enfin avoir des arbres! Ils suivaient les travaux avec un intérêt, avec une sympathie qui redoublait le zèle des travailleurs, en quelques semaines, la plantation s'acheva, et, dès qu'elle fut achevée, les planteurs, en se levant, cons tatèrent qu'il n'y avait plus un arbre. En voyant tous ces jeunes baliveaux à portée de leurs mains, les indigènes qui, depuis des siècles, enduraient mal l'ennui d'aller au loin faire du bois dans un désert sans ombre, n'avaient pas résisté à l'envie d'as surer le chauffage de leur hiver. En une nuit, ils avaient tout coupé. On replanta des arbres. Il s'agissait, cette fois, de les protéger. Comment faire? Afficher à la grille des squares que « lès plantations sont placées sous la sauve-1 garde des citoyens? » Médiocre sauve- j garde! Ecrire sur les murs ou sur les becs de gaz: « Soyez bons pour les végétaux? » Si peu de Croyants savent lire! L'autorité s'avisa d'un expédient plus simple. Elle fit connaître que chaque habitant serait tenu pour responsable des arbres plantés au droit de sa maison ». Le lendemain, il manquait deux arbres devant un épicier. On frappe à sa porte, on l'arrête, on le mène devant le cadi. « Tu vas être pendu, prononce le magistrat. Pendu! dit l'épi cier, qu'ai-je fait, mon bon seigneur? Tu as volé deux arbres. Volé? j'avais si grand peur, au contraire, qu'on ne les volât cette nuit que je les ai rentrés, hier soir, au fond de ma boutique. » On les retrouva, en effet, parmi les jarres, les caisses et les boîtes de conserves; l'épi cier, après une semonce, fut rendu à ses huiles. Z....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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