Extrait du journal

Le péril est à gauche [DE NOIRE CORRESPONDANT] Madrid, le 23 avril. Rarement <]a parole célèbre du grand répu blicain français a été d'application plus opportune. On peut dire qu'une grande par tie des Espagnols qui ont combattu, ou, pour être plus exact, voulu éviter l'avènement de la République ne l'ont pas'fait par aversion pour l'idée républicaine (car il n'y a pas, à tous les degrés de la société, de pays plus démocratique de tempérament que l'Espa gne), mais par crainte des répercussions non démocratiques que risquait d'entraîner la révolution républicaine. La République est au pouvoir : elle a eu le grand mérite, que ses adversaires parta gent avec elle, de s'installer sans effusion de sang. Et, jusqu'ici, les appréhensions pessimistes ne sont pas confirmées par les faits. Mais il subsiste des symptômes qui peu vent les entretenir. Certains éléments dé clarent que l'avènement de la République n'est qu'un premier pas ; et ils entendent par là, non pas, comme il est naturel, qu'il fau dra des mois pour faire passer dans la Constitution, dans les lois et dans les mœurs, les conséquences logiques du changement de régime proclamé le 14 avril, mais bien au contraire que ces conséquences logiques sont insuffisantes, ou, en termes plus clairs, qu'il faut instaurer, au lieu d'une République à la française, une République à la russe. Comme nous avons ici, pour le moment, une République non sanglante, une Républi que respectueuse des croyances et de la pro priété légitime, une République qui entend maintenir l'ordre, et que la majorité des votes qui se sont donnés à la République l'ont été dans l'espérance que celle-ci serait bien telle et se développerait dans la paix politique, sociale et religieuse, il faut bien constater que la République espagnole ne court aucun péril du côté de la droite et qu'elle n'est pas sans en courir du côté de la gauche. Nous employons à dessein la formule: pas de péril -à droite, et non pas la formule : pas d'ennemis à droite. Il est trop clair qu'il y- a des ennemis à droite : mais quelques uns émigrent, beaucoup restent aussi inertes après le changement de régime qu'avant (ce qui n'est pas peu dire) et beaucoup aussi, supportant l'épreuve avec dignité et avec sagesse, se rendent compte qu'il faut sacri fier leurs préférences et leurs regrets pour donner à la République conservatrice la seule chance qu'elle ait de vivre et de barrer la voie à une République bolchevisante, sont prêts à donner leur appui, et l'ont déjà donné à un régime qu'ils n'aiment pas. Ils n'ont ici d'autre mérite que celui de la sa gesse : ils appuient un régime qu'ils n'aiment pas, par crainte justifiée d'un régime qu'ils aimeraient beaucoup moins encore. Mais que peut-on raisonnablement leur demander de...