Extrait du journal
„ M. Odilon Barrot est ministre et président du conseil. Il a fallu un changement de gouvernement pour amener un changement de ministère. Expliquons ce que contient, selon nous, d'en •seigoemens, ce triste et exact résumé que nous ve nons de faire de la situation actuelle. A Dieu ne plaise que nous nous exceptions nous-mêmes de la leçon que les événemens donnent à tout le mondes Nous avons soutenu énergiquement et en con science le dernier ministère de la monarchie de juillet. Nous étions persuadés qu'il suivait exacte ment les règles du gouvernement représentatif, telt qu'il est pratiqué depuis longtemps en Angle terre , et qu'ayant la majorité dans les Chambres , il ne devait point se retirer devant l'agitation exté rieure : nous avions raison selon la légalité, nous avons eu tort selon le fait. Nous sommes forcés de reconnaître que dans un pays profondément imbu . de l'esprit révolutionnaire, comme est le nôtre, il ne faut pas se fier seulement à la puissance de la loi. Si la prérogative royale eût été moins scrupuleuse à respecter la règle fondamentale des gouverne mens représentatifs, c'est-à-dire, l'adhésion au vœu de la majorité légale -, si la royauté eût changé plus souvent de ministres ; si aucune ambition n'eût été désespérée; si toutes avaient pu successivement arriver au pouvoir ; si enfin la lièvre qu'entretenait l'agitation extérieure eût été coupée à temps par un changement de régime plus ou moins efficace, plus ou moins long, une monarchie honnête et sage ne serait pas tombée victime d'un coup de main dont le succès étonne encore tous les jours ceux qui l'ont fait. C'est un malheur et une faute qu'il ait fallu un changement de gouvernement pour amener un changement de ministère. Nous répétons à dessein notre expression : nous ne pensons pas en effet que personne puisse con tester la marche des événemens, le sens de cette marche, et comment aujourd'hui la révolution de Février se trouve réduite et ramenée, sauf la chute d'une famille royale, à un simple changement de ministère. Elle a pour dénoûment la mesure même qui eût suffi pour l'empêcher. . L'événement de février a dépassé singulièrement sa cause. Cette cause revient aujourd'hui à l'effet naturel qu'elle comportait. Après avoir pris notre part dans la leçon que les événemens adressent à tout le monde, il nous est permis de voir la part des autres. Nous avons failli, nous, parce que nous avons trop cru au pouvoir de la loi. D'autres ont failli parce qu'ils n'ont pas défen lu assez énergiquement le pouvoir de la loi. Ce'te part de la leçon s'adresse à toute celte por tion de la population de Paris qui, au mois de juin par son courage, et au mois de décembre par ses votes en faveur de M. Louis Bonaparte ou du gér néral Cavaignac, a tant fait pour servir la cause de l'ordre et pour la remettre en honneur. Elle a ré paré le 24 février; mais qu'elle songe à foules les épreuves qu'il lui à fallu traverser avant d'en arri ver là. Elle a certes pris le chemin le plus long et le plus pénible pour arriver au ministère d'Oppo sition qu'elle voulait, et qui devient aujourd'hui un ministère de conservation. Il est enfin une dernière leçon que donne k mar che des événemens : c'est la plus importante dè toutes, et nous désirons ardemment qu'elle soit bien comprise par tout le monde. Il y a eu depuis le 24 février jusqu'au 4 mai une République toute révolutionnaire et anti-so ciale : on eût dit que cette République avait été fondée après une longue guerre servile, dans la quelle le haut de la société aurait été vaincu par le bas. Il n'en était rien : et dès qu'il a pu sortir un peu de vérité du sein des urnes électorales, cette fantasmagorie de la République servile a disparu. Du 4 mai jusqu'à la fin des journées de juin, la République servile a fait effort pour reprendre par la violence le pouvoir qu'elle avait une première fois conquis par le hasard. La République servile a été vaincue, et ce n'est plus sous le joug des ate liers nationaux que la France a été appelée à vivre. Nous avons vu alors commencer une nouvelle Ré publique dont tous les penchans étaient honnêtes et modérés, mais dont toutes les origines étaient violentes et exclusives. La France, par le suffrage universel, a condamné cette République qui n'avait d'autre péché que son péché originel. Il est vrai que lorsque la rédemption n'intervient pas, ce péché est de tous le plus grave et le plus fatal. De telle sorte que, corrigeant successivement toutes les éditions de République qu'on a voulu lui imposer, la France est arrivée à la République que nous voyons aujourd'hui. La société moderne avec la République nouvelle doit garder son caractère libéral et ne pas devenir une société servile et j mécanique. Il faut que l'industrie et le commerce soient livrés à leur libre essor ; ils ne peuvent pas être dirigés du fond d'un cabinet par un person nage moitié administrateur et moitié hiérophante ; que,les impôts ne soient pas doublés en haine de la propriété foncière, et qu'il y ait des tribunaux inamovibles, une Cour des comptes, un conseil d'Etat ou un tribunal administratif supérieur. Après avoir essayé de changer l'ordre social tout entier, et l'avoir essayé à sa grande confusion et à notre grande ruine, la République, si elle veut vivre, ne doit jamais perdre de vue l'amer souvenir que la France garde d'un passé de dix mois. L'épreuve sociale est finie, et nous nous en féli citons ; une autre épreuve commence, épreuve toute politique et qu'on peut supporter beaucoup plus aisé ment. Nous faisons donc des vœux sincères pour la République du 40 décembre, comme nous en avons fait pour la République du 25 juin, comme nous en ferons toujours pour la réparation sans révolution du mal qu'a fait la grande erreur du 24 février. Quand nous disons que l'épreuve sociale est finie, nous ne voulons pas donner au public une sécurité que nous n'ayons pas. Les dangers de l'ordre social ne sont pas finis, mais il y a un péril qui est fini depuis le 25 juin , et qui est plus fini encore depuis le 10 décembre. Ce danger, c'est de voir le gouvernement lui-même conspirer contre Fa société, tantôt par faiblesse et tantôt par calcul...
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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