Extrait du journal

On a sur les événements de la guerre deux ou trois communiqués par jour. Les nouvelles sûres se réduisent à cela. Mais elles ont des commentateurs, qu'on ren contre sur le boulevard. Mélampside lit le bulletin du ministère comme un langage chiffré. J 1 en a trouvé la clé, et cette clé est fort simple. Si l'on dit : Les Russes avancent, cela veut dire : Nous reculons. Si l'on dit : Nous résistons, cela veut dire : Nous sommes battus. Si l'on dit : Nous progressons à l'Est, cela veut dire : Nous cédons au Nord. Entin, s'il lit : Nous reprendrons l'offensive, Mé lampside hoche la tête, et dit : Oui! mais quand ? Picrophon arrive d'un air mystérieux, important et sombre. Son front est barré, et il ne parle qu'à demi-voix. Mais c'est pour mieux se l'aire entendre. Il arrive de pro vince ; il a vu passer un train de blessés, et il croit qu'il est allé sur le front. C'est l'homme des renseignements particuliers. Il laisse tomber ces mots cabalistiques : Je sais par des officiers... Que ne sait-il pas, en effet ? Fuyez cet homme in formé. Il n'y a pas de plus redouta ble semeur de faussés nouvelles. Logomaque procède par raisonnement. 11 vous dit : Moi, je suis logique. Or, il est sans exemple qu'une armée,dont l'offensive a échoué la veille,puisse tenir lelendemain. Donc,nous ne pouvons pas nous maintenir. Il dit encore : Moi, je raisonne par le bon sens. Or, nous n'avons pas réussi sur le terrain que nous avions choisi. Donc, nous ne pouvons pas réussir sur le terrain que nous n'avons pas choisi. Enfin, il vous dé montre que nous avons contre nous, outre l'année allemande, deux ou trois syllogis mes de cette force; et il en demeure accablé. Un autre ne dit rien. Il écoute tout, sans que rien le tire d'un sombre silence. On essaye de le faire parler. T 1 hoche la tète. Enfin, il se décide, il met la main sur votre bras, et avec une supériorité infinie, il laisse tomber : » Moi, j'ai vu 70 ». C'est tout, et il n'a rien d'autre à dire. Il rentre dans un mutisme environné de respect. Le sage les fuit, sans pouvoir toujours les éviter. Cependant un gamin passe, siffle son air habituel, et va tranquillement à ses affaires. C'est un bon citoyen. V"....