Extrait du journal
PARIS, 27 FÉVRIER. Tout le monde connaît aujourd'hui les con ditions de paix qui nous ont été imposées par le vainqueur et que nous avons dû subir. Ces conditions sont dures et en rapport avec la mauvaise fortune qui s'est acharnée sur nous depuis le commencement de la guerre. Sachons cependant, malgré unë amertume trop naturelle, hélas ! rendre justice aux hommes qui ont représenté la France aux négociations de Versailles, et qui ont courageusement, jusqu'à la dernière heure, au milieu des cruelles souffrances infligées à leur patriotisme, défendu le ter rain pied à pied. Cinq milliards d'indem nité et deux de nos plus belles provinces, éminemment françaises par le cœur, voilà ce que le vainqueur nous arrache. Ah ! le sacrifice est dur, et pourtant ce n'est pas tout. Il faut faire entrer en ligne de compte, pour ne parler que de nos pertes matérielles, le sang français répandu à flots, nos provinces ravagées et ruinées, et tout l'or englouti dans l'abîme creusé par celte guerre à jamais maudite. Ce sont là des désastres qui échappent à toute évaluation précise, et nous ne saurons jamais exactement tout ce que la France vient de perdre én six mois, Voilà cê que nous coûtent vingt années de bonapartisme et de pouvoir personnel. L'empire a disparu dans une tempête dé chaînée par lui, en nous entraînant dans le gouffre. La France méritait une leçon, mais celle-là est vraiment trop dure. Que du moins elle profite à ceux qui, par peur de la liberté, ont tout livré au despotisme. Le jour n'est pas loin où nous pourrons re venir sur l'histoire de nos vingt dernières années et dégager les enseignemens qu'elle contient, mais toute récrimination serait vaine et sans dignité en ce moment, au milieu du deuil commun de la patrie. Mercredi prochain, à dix heures du ma tin , un corps de l'armée allemande de 30,000 hommes d'effectif entrera à Paris et occupera certains quartiers désignés d'a vance. En subissant cette nouvelle épreuve, Paris se rappellera qu'elle est le prix du rachat de Belfort. Lorsque Strasbourg, près de succomber, luttait encore avec l'énergie du désespoir, la foule qui remplissait nos rues levait les mains au ciel et poussait des cris de douleur, ne pouvant se résigner à croire qu'il fût impossible de porter se cours à l'héroïque capitale de l'Alsace. Combien alors auraient été" heureux de payer sa délivrance de leur sang ! Il nous souvient encore de ces nombreuses dépu tations qui allaient chaque jour sur la place de la Concorde couvrir de couronnes d'im mortelles la statue de Strasbourg. Ces cou ronnes sont toujours à leur place, elles font àla noble statue comme une draperie de gloire. Eh bien, il faut à présent, ôParisiens ! sauver Belfort; et ce qu'on vous demande pour cela, ce n'est ni votre sang, ni votre or, ni des couronnes d'immortelles, mais quel ques/! ours de résignation et de patience ; c'est ie sacrifice de la plus légitime des sus ceptibilités, qui n'est pas le moins dur, as surément, de tous ceux qu'on aurait pu vous imposer, mais le seul efficace aujour d'hui I Belfort s'est défendu aussi héroï quement que Strasbourg, aussi, longtemps que Paris. Dites-vous qu'il faut qu'à tout prix Belfort reste à la France, et que c'est vous seuls qui tenez sa rançon dans vos mains. Alors la dernière gorgée de lie qui reste au fond de la coupe vous paraîtra moins amère. Hier, à l'hOfel des affaires étrangères, le ministre plénipotentiaire de la République helvétique, M.îïern, a présenté à M. Thiers ses lettres de oréance. M. Kern a prononcé à cette occasion quelques paroles qui font un heureux et singulier 'contraste avec le ton du dernier Message du général Grant. M. Kern s'est souvenu qu'il était le repré sentant d'une République et qu'il parlait en cette qualité au chef du pouvoir exé cutif d'un gouvernement républicain ; on s'aperçoit aisément qu'il ne lui a pas fallu...
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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