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Journal des débats politiques et littéraires, 29 juillet 1934

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Journal des débats politiques et littéraires
29 juillet 1934


Extrait du journal

C'était un homme né pour la grandeur. Il avait 16 sens de gloire et il l'a conquise en la méritant. Il a porté avec aisance un haut destin. 11 aurait été égal à n'importe quelle fortune. La nature l'avait créé puis sant. La culture et l'exercice de l'intelligence lui donnèrent un rayonne ment incomparable. Si son ombre fastueuse reste encore, maintenant qu'il n'est plus, complaisante aux faveurs humaines, elle peut être sen sible à l'hommage qui lui est rendu. Sa disparition met toute la France en deuil et tout un Empire en prièr es. t'illustre soldat qui s'en va a été un personnage étonnant par la richesse et la diversité de ses dops. Tout en lui était cbtitp&sté. Il avait , la. plus sensibilité féminine. Ardent «t réfléchi,-médi ta£i et enflammé, généreux et susceptible, artiste et homme d'actioïî?" capable des plus charmantes courtoisies et de brusqueries emportées, il surprenait par sa mobilité, et il surprenait davantage par sa lucidité et sa maîtrise de soi. Tantôt tout en fulguration, tantôt tout en méthode, il concevait les choses sous le signe de la plus froide raison, mais il ne les accomplissait qu'avec un enthousiasme où il y avait de l'amour. Chef exigeant et respecté, il inspirait le désir de le servir. Quoi qu'il fît, il avait le prestige des êtres supérieurs. Dans les heures de tumulte comme dans les moments de désinvolture, dans la séduction et jusque dans la familiarité, il gardait une grande allure et la noblesse du beau sang qui coulait dans ses veines. De. cet homme exceptionnel, comme jar dis du grand Condé, la postérité pourra dire avec admiration qu'il né lui a manqué que les moindres vertus. Il n'était pas fait pour le repos ni pour la retraite. Quand il eut quitté le Maroc, on le revit en ces dernières années à Paris comme en Lorraine animé d'une ardeur infatigable. Toujours, selon le vœu qu'il exprimait dès ses débuts, à la fois social et militaire, il était attentif à tout ce qui touchait la vie nationale,-l'organisation de l'armée, le Con seil supérieur de la guerre, les études scolaires, la formation des futurs officiers, les scouts, les associations patriotiques. Il se donnait à toutes ces occupations avec le zèle du cœur. Sa curiosité d'esprit, sa facilité de réagir aux événements étaient restées merveilleuses, et c'est vers les jeunes surtout qu'il allait. Dans sa Lorraine qu'il chérissait, il était en core, ayant près de quatre-vingts ans, comme un prince de Ja jeunesse. Général à la manière romaine, il aimait la conquête, et il l'atten dait autant de la négociation que de la gloire des armes. Le combat était la ressource suprême pour réduire l'adversaire qui s'obstinait. Il préférait lui imposer par le prestige et se le concilier par la confiance. Sa maxime célèbre : «manifester la force pour n'avoir pas à s'en ser vir» résume sa doctrine. Ce grand colonial avait du respect et de l'es time pour les croyances et la civilisation de l'Empire chérifien qu'il réussit à s'attacher. Il a su accomplir une œuvre de pacification adroite et patiente. Il a régné par I'amité. Mais en même temps, il avait le souci de prouver sans cesse par des faits et par des actes la supériorité morale et matérielle de son pays. Tout ce que la science des ingénieurs, des architectes et des médecins, tout ce que l'administration disciplinée et la justice exacte peuvent pro curpr de bienfaits à une contrée, il avait à cœur de le donner. Là où il paraissait, il fallait de beaux bâtiments, des perspectives, des pistes où roulaient les autos, des câbles puissants transportant le courant, de lar ges routes, de la lumière, de l'espace. Il voyait grand. Il avait l'imagi nation vive et créatrice. Il était magnifique. Gomment ce seigneur qui semble en dehors du siècle a-t-il pu s'ac corder à notre temps ? Comment a-t-il pu se faire accepter par un régime qu'il heui-tait par son existence même autant qu'il en était heurté ? Il a trouvé dans les souples ressources de sa nature le secret de se faire admettre et de poursuivre à sa manière son dessein. Il a tenu cette gageure de donner obstinément à son pays, et en restant lui-même, un splendide domaine africain,, dont il a été le roi aimé. Il y a quelques semaines, on rapportait devant lui les paroles poé tiques et humaines d'un indigène qui avait dit : « Si le Maréchal est encore de ce monde, qu'il vienne, et, dès qu'il paraîtra dans notre pays, tous les tapis les plus précieux seront étendus devant les sabots de son cheval pour qu'ils deviennent des objets sacrés. » Le Maréchal gardait Un silence pathétique où il y avait de la fierté, de l'émotion et du regret. Son œil clair se voilait de mélancolie. Et il semblait regarder au loin, par delà les mers, comme dans une féerie, cette terre marocaine qu'il a tant :aimée et où il songeait à dormir son dernier sommeil. A. C....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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