Extrait du journal
. PARIS1. 28 septembre. La Chambre des Députes a adopté la loi qui ordonne que l'ar mée de terre et de mer sera votée tous les ans comme l'impôt. C'é tait une occasion d'examiner l'état moral de l'armée. Cet état mé rite d'attirer l'attention de tous les hommes qui songent à l'avenir. Il ne faut pas craindre de l'assurer : l'esprit militaire a reçu un rude coup à lu bataille de Paris. C'est la force civile qui a triom phé 5 et, ce qui atteste et consolide sou triomphe, c'est l'établis sement de la garde nationale. Le penchant de notre siècle aussi bien est opposé *à l'esprit militaire. Voyez en Belgique la garde bour geoise : même chose à Aix-la-Chapelle , à Leipsick , à Brunswick. Il semble que c'est un des caractères du mouvement européen , auquel la France a donné le signal, que la substitution de la bourgeoisie armée à la force militaire. Cette défaite de l'esprit militaire est un heureux événement ; mais il faut savoir ce qu'elle a été ; il faut savoir quelles sont , parmi les idées qui constituent l'esprit militaire. celles qui c,nt été vaincues. -v Les idées vaincues , c'est l'idée de l'obéissance passive , et l'idée que l'année fait un corps séparé de la nation. La restauration avait tout fait pour imprimer ces idées dans la tête du soldat ; elle n'y avait jamais entièrement réussi. Pendant long-temps l'esprit militaire était dans l'opposition. L'armée ne pouvait pas oublier que , sous Napoléon , quoiqu'elle tendît à se séparer de la nation , cependant la nation sympathisait avec elle, grâce à la gloire qui surmontait toutes les petites antipathies qu'il pouvait y avoir entre l'esprit de caserne et l'esprit bourgeois ; elle ne pou vait pas oublier qu'en 1 814 et en 1815 le peuple avait profondé ment ressenti ses malheurs, et en 1816 et 1817 les injustices qu'elle avait souffertes. D'ailleurs l'obéissance passive , facile et simple sous Napoléon qui, sorti des rangs des soldats , était le sym bole vivant de l'égalité militaire , semblait difficile et pénible sous des princes qui n'étaient pas montés jusqu'au trône de grades en grades. Jamais donc, il faut le dire , l'armée n'ajouta une foi pleine et entière aux idées qu'on prétendait lui inculquer ; elle obéissait plutôt par insouciance que par dévouement. De là la victoire qu'elle a volontiers laissé remporter au peuple. Elle doutait, elle hésitait dans sa foi, elle répugnait à croire ceux qui lui prêchaient le divorce avec la France et l'union avec le parti des'sacristies. Elle n'avait pas encore eu le temps d'oublier ses anciennes antipathies, et de contracter ses répugnances factices. Quelques malheureux régimens , quelques officiers aveuglés se sont fait massacrer pour l'honneur de cette fausse religion mili taire. Mais que le combat leur devait être pénible ! que la mort leur devait être affreuse , puisqu'elle était sans honneur ! Eh ! vous tirerez donc sur le peuple ! disait, le 28, un citoyen à un officièr de la ligne. Eh! répondit l'officier en lui serrant la main , nous sommes bien malheureux ! Ah oui, bien malheu reux ! car ils étaient entre l'honneur militaire et la patrie, entre ce qu'ils croyaient un devoir impérieux et ce qu'ils sentaient être un devoir saint et sacré ! Ce peuple, qui courait hardiment au com bat , il avait la conscience nette et sûre ; il n'avait qu'un devoir, celui de défendre ses lois ; il ne sentait ni trouble ni. hésitation , et quand il faisait feu , ni sa main ni son cœur ne tremblaient : car c'était feu contre- le parjure, feu pour la bonne cause et le bon droit. Aussi il ne craignait pas la mort, qui lui était douce et glorieuse, et l'idée de sa victoire ne l'effrayait point comme le triomphe d'une mauvaise cause. Mais eux! défaits et succès, tout leur était également funeste. On a parlé de déchiremens de cons cience. Ah ! c'étaient ces malheureux qui avaient la conscience dé chirée et souffrante ; car enfin que devaient-ifs faire ? Ils ne sont ni casuistes ni philosophes ; ils sont militaires , et pendant quinze ans on n'avait cessé de leur dire que le premier devoir du soldat, c'est l'obéissance. Obéiront-ils aujourd'hui ? Les ordres sont sanguinaires et injustes ! Que feront-ils donc? Ils feront ce qu'il y a de plus dif ficile pour des soldats: ils s'abstiendront de combattre d'un côté ou de l'autçp ; ils feront, sans déshonneur , ce qui semble déshono rant; ils déposeront leurs armes, disons mieux, ils les prêteront au peuple, afin qu'il s'en serve pour la défense de la liberté, et ils pleureront de joie et d'envie de le voir si bien se battre. Non , i'armée n'a point été vaincue : il n'y a eu de vaincu que les idées qui compromettaient l'honneur de l'armée , l'idée de l'o béissance passive et l'idée que l'armée et la nation font un corps à part. Ce sont là les idées qui ont été vaincues et qui devaient l'être. L'armée n'a point à regretter leur défaite. Elle s'est purifiée par ià du contact d'institutions vieillies et surannées ; car l'obéissance passive est une idée de la monarchie absolue d'avant 89 : et la séparation de l'armée et de la nation, est une idée de la monarchie militaire de Napoléon. Tout cela ne convient plus à notre siècle : Aussi l'armée l'a laissé périr volontiers....
À propos
Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.
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