Extrait du journal

LA TRISTESSE DE LA MONTAGNE Une nouvelle s'est répandue hier dans Paris et y a causé ufl vif émoi. Nous appre nions, vers le coup de midi, que la monta* gne Sainte-Geneviève s'attriste. Aussitôt l'armée des reporters était mobilisée. Le désir m'est venu d'interroger, moi aussi, celle dont on nous révélait le douloureux état d'âme. Elle m'a reçu avec affabilité. C'est une personne d'âge, avec cette bien veillance dans le regard et ce je ne sais1, quoi de jeune dans l'expression que conser vent longtemps ceux qui se sont consacrés à l'enseignement. « Il paraît, lui dis-je, que vous devenez triste. J'ai voulu savoir de vous les causes de cette humeur chagrine. Sans doute vous regrettez le temps où vous étiez pour la nation des écoliers comme une ville qui leur appartenait dans la grande ville. Le moyen âge ç'a été pour vous le bon temps, le bon vieux temps où vous étiez jeune. Quelles disputes dans les écoles de ce temps-là. Et quels jeux ! Quelles folies pro menées par les rues! Je ne veux pas faire une exacte récapitulation de toutes les épo ques qui se sont succédé depuis lors, car ce serait un peu long et peut-être il serait de mauvais goût de vous rappeler que vous avez tant vécu. Mais il y a eu encore pour vous de bonnes journées dans ce siècle. Hélas ! le quartier Latin a vécu ; les orches tres se sont tus dans les bals désertés ; ley boul'Mich' est devenu le boulevard SaintMichel. Pourtant on vous bâtit toute sorte de palais neufs. Mais peut-être est-ce que vous regrettez les vieilles pierres oùjii y avait un peu de votre âme? Ou serait-ce que les bérets vous étaient chers?... », Elle m'interrompit, et d'un ton légère ment protecteur, ainsi qu'il convenait : « Laissez-moi vous dire, d'abord, que vous me semblez ignorer les premiers éléments de l'art de l'interview. Vous vous perdez en paroles inutiles où il ne faudrait que quel ques questions très précises et nettement posées. Je vais être obligée de me faire à moi-même mon propre questionnaire. » Vous voulez savoir si j e suis plus triste que par le passé. Or, depuis que j'existe et qu'il y a une jeunesse, on va répétant à chaque nouvelle la même chanson. On se plaint que la gaieté se meurt et qu'il n'y a plus de jeunesse. Voilà des siècles qu'il n'y a plus de jeunesse. Tout de même l'hur manité continue de vivre....